La santé mentale au travail et la prise en compte des risques psychosociaux

Article rédigé par Michel Forget, conseiller en santé et sécurité du travail
paru dans Magazine L’Expertise – Octobre 2013

Dans les milieux de travail, la gestion de la santé psychologique des personnes occupe une place de plus en plus importante. C’est pourquoi le Conseil du trésor a récemment adopté la Politique-cadre de gestion des ressources humaines1, selon laquelle on prévoit renforcer la prévention en accordant une attention particulière à l’identification et à la prise en charge des risques psychosociaux. Ce faisant, on prend en compte le fait que, ces dernières années, on a vu augmenter de façon importante le nombre et la durée des périodes d’invalidité liées aux lésions psychologiques. Ce phénomène n’est pas particulier à la fonction publique. Il est observé dans tous les milieux de travail et dans la majorité des pays occidentaux. À cet égard, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) a adopté, en janvier 2013, une nouvelle norme concernant la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail2. Une telle initiative traduit l’attention grandissante que les employeurs accordent aux problèmes de santé mentale ainsi qu’à la réduction des coûts qu’ils engendrent.

 

L’AMPLEUR DU PROBLÈME

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans les pays industrialisés, 35% à 40% de l’absentéisme au travail est attribuable à des problèmes de santé mentale3, et la dépression est la quatrième cause d’invalidité. On s’attend à ce que d’ici 2020 les problèmes psychologiques deviennent la première cause d’invalidité. Aux États-Unis, les coûts annuels associés au traitement de la dépression représentent à eux seuls des montants qui varient entre 30 et 44 milliards de dollars.

Au Canada, un demi-million de travailleurs s’absentent du travail chaque jour pour des problèmes de santé psychologique4. Une étude récente du Conference Board du Canada5 révèle, qu’annuellement les coûts liés aux problèmes de santé mentale s’élèvent à 20,7 milliards de dollars. Selon l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés6, il y a 15 ans, 20 % des absences étaient liées à la maladie mentale. Aujourd’hui, ce pourcentage se situe entre 50% et 60%. Pour sa part, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes rapporte que de 30% à 50% des primes d’incapacité versées pour des absences de longue durée sont attribuables à des problèmes de santé psychologique.

Au Québec, «les problèmes de santé mentale expliquent 30% des absences au travail et la moitié des journées perdues pour cause de maladie7». Selon l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST)8, « près d’un travailleur sur cinq présente un niveau élevé de détresse psychologique». Dans les milieux syndiqués, l’absentéisme occasionné par un problème de santé psychologique est généralement pris en charge par les assurances collectives. Toutefois, des données récentes indiquent qu’un nombre croissant de cas sont indemnisés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Une étude menée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST)9 nous apprend que, de 2005 à 2007, la CSST a traité en moyenne 1 377 dossiers de lésion psychologique par année. La durée moyenne de ces invalidités était de 227,7 jours pour un coût moyen par lésion de 73 160$.

 

LES CAUSES

Si les spécialistes s’entendent pour dire que les causes expliquant la progression du nombre de cas recensés de problème de santé psychologique au travail sont multifactorielles, un nombre croissant de chercheurs indiquent toutefois que certaines transformations concernant l’organisation du travail contribuent de façon significative à l’émergence de ces problèmes. On pense ici à l’introduction des nouvelles technologies de l’information, à la précarisation des emplois, à la réduction des effectifs et à l’implantation de modèles de gouvernance centrés sur l’efficacité et l’efficience. Ces mutations dans l’organisation du travail font que les exigences de la vie professionnelle sont de plus en plus fortes. Elles mettent sous pression les salariées et salariés.

À cet effet, dans les milieux de travail, les risques psychosociaux les plus fréquemment associés à l’émergence de problèmes de santé mentale concernent : la charge de travail, le manque d’autonomie professionnelle, des délais de production irréalistes, des styles de supervision autoritaires ou de type laissez faire, des conflits non gérés ou mal gérés, des communications déficientes, une culture organisationnelle non respectueuse des personnes, un climat de compétition excessif et une banalisation des conduites vexatoires.

 

DES PISTES D’INTERVENTION

Selon la norme Santé et sécurité psycho ­ logiques en milieu de travail du BNQ, les meilleurs types de programmes de prévention sont soit ceux qui s’intéressent à l’environnement de travail dans le but d’éliminer à la source les risques psychosociaux, soit ceux qui interviennent directement auprès des personnes pour mieux les outiller afin de faire face aux situations de stress au travail.

À cet égard, comme le mettent en évidence les résultats de l’EQCOTESST10, les salariées et salariés qui ont accès à des horaires flexibles, à des mesures de conciliation travail-famille, à la possibilité de travailler à domicile ou qui jouissent d’un bon niveau de latitude décisionnelle dans leur fonction ont un niveau de détresse psychologique significativement inférieur à celui de leurs homologues n’ayant pas accès à ces mesures.


1- Secrétariat du Conseil du trésor du Québec (2013). Politique-cadre de gestion des ressources humaines, Québec, 15 p.

2- Bureau de normalisation du Québec (2013). Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail : prévention, promotion et lignes directrices pour une mise en œuvre par étape, CAN/CSA-Z103-13/BNQ 9700-803/2013, 64 p.

3- Vézina, M. (2008). La santé mentale au travail : un enjeu de santé publique, Présentation faite dans le cadre de la Journée régionale de santé publique de l’ASSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec, Shawinigan, 9 mai 2008, Institut national de santé publique.

4- Dubuc, A. (14 février 2013). «Les maladies mentales coûtent une fortune aux entreprises », La Presse.

5- Leduc, G. (11 septembre 2013). « Les problèmes de santé mentale coûtent 20 G$ à l’économie », Le Soleil.

6- Massé, I. (15 octobre 2012). « Burn-out : le “fléau de l’heure” pour les entreprises », La Presse.

7- Dubuc, A. op. cit.

8- Vézina M., St-Arnaud, L. et autres (2011). Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail, IRSST, Rapport R-691, chap. 9, Montréal, p. 591-656.

9- Lebeau, M., Duguay, P. & Boucher, A. (2013). Les coûts des lésions professionnelles au Québec 2005- 2007, Études et recherches, IRSST, Rapport R-769, Montréal, 48 p.

10- Vézina, M. et autres, op. cit.