Les mots comportant le suffixe « cide » génèrent souvent l’effroi et l’anxiété, car ils renvoient à ce que l’humanité porte de pire en elle : le meurtre. Évoquer les termes féminicide, infanticide ou génocide suffit pour s’en convaincre. L’ère Legault force pourtant un ajout à cette triste liste : le professionnelicide. Il réfère non pas à l’assassinat de professionnels, mais plutôt à l’anéantissement volontaire de cette catégorie d’employés de l’État.
Un lecteur le moindrement sagace l’aura compris : nous ne conférons pas au professionnelicide une équivalence dramatique qui s’apparente aux expressions mentionnées plus haut. Le prétendre serait symptomatique d’un manque élémentaire de respect envers les femmes assassinées, les enfants tués ou les peuples exterminés. Et, bien sûr, aucun gestionnaire sanguinaire ne traque les professionnels dans les corridors du Complexe G afin d’attenter à leur vie !
Nous interprétons plutôt le professionnelicide comme étant l’acte d’un gouvernement qui cherche délibérément à liquider l’expertise de l’État, à museler le professionnalisme des expertes et experts de l’administration publique, à offrir des conditions de travail en deçà du marché qui réduisent à néant toute volonté d’attraction, de rétention et de maintien de l’expertise. Voici quelques exemples.
Dans le budget déposé le 25 mars, Québec a supprimé 54 millions $ dans les dépenses du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). Si ces compressions touchent à peine la direction du MFFP à Québec, elles auront toutefois un effet destructeur sur l’aménagement durable du territoire forestier, les opérations régionales, les activités de protection de la faune et de gestion des parcs. En clair, plusieurs postes de professionnels et de fonctionnaires en région disparaîtront, et ce, en parfaite contradiction avec la promesse de ce gouvernement de régionaliser 5 000 postes. La relance économique en région en prend ici pour son rhume, de même que l’expertise terrain.
Aussi, le budget Girard table sur la disparition de 5 000 employés de l’État pour aider Québec à gommer son déficit structurel. Notre premier ministre a beau dire qu’il veut ainsi lutter contre le gaspillage sans réduire la qualité des services aux citoyens, mais personne n’est dupe, car plusieurs ministères et organismes sont plutôt confrontés à un manque criant de personnel pour assurer les services. Lorsque des économies surviennent à la suite d’une réduction d’effectifs, elles sont aussitôt dilapidées en octroi de contrats professionnels plus coûteux donnés à l’externe, avec pour résultat d’annihiler l’expertise interne au profit du privé.
Le professionnelicide s’est aussi révélé au grand jour, récemment, alors que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a nié des problèmes graves de ventilation dans les écoles. Il a plutôt affirmé que les protocoles de tests de CO2 effectués dans les écoles ont été établis conjointement avec la Santé publique et qu’ils sont validés par celle-ci. Pourtant, la Santé publique n’a jamais cautionné les tests en question. Tout comme l’a démontré l’affaire Louis Robert, la parole d’expert est trop souvent reléguée au second plan, supplanté par un discours politique teinté d’idéologie qui semble n’avoir que faire d’informer et d’éclairer à l’aide de faits.
Ajoutons à cela que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a déposé le 31 mars une soi-disant nouvelle offre salariale aux employés de l’État. Dans la foulée du dépôt, Mme LeBel a qualifié cette offre comme étant équitable et généreuse au regard du contexte pandémique actuel. Bien que ce soit écoulé 16 mois depuis le début de la négociation visant le renouvellement des conventions collectives, seuls des progrès marginaux sont perceptibles. Promettre quelques cacahuètes de plus seulement si l’inflation dépasse les 5 % sur trois ans, voilà la maigre reconnaissance de ce gouvernement qui dit vouloir investir dans l’amélioration des conditions de travail pour éviter l’exode vers le secteur privé des professionnels.
Non, le sang ne giclera pas sur les murs des cubicules de la colline parlementaire de Québec, car le professionnelicide s’avère plus insidieux. Il se traduira (en fait, il se traduit déjà !) par moins d’experts pour ausculter la santé de nos forêts, pour prendre soin de nos jeunes fréquentant les cégeps, pour mettre la main à la terre et vérifier les concentrations de pesticides dans nos champs, pour évaluer les besoins immenses de notre patrimoine immobilier, pour poser les bons diagnostics à propos de nos infrastructures matérielles et virtuelles et pour combler tant d’autres nécessités qui demeurent désormais sur la touche.
Ce professionnelicide augmentera la masse des exclus, des laissés-pour-compte, des sans-voix, des marginaux, des gagne-petit. Pourtant, la grande leçon tirée durant la pandémie, n’est-elle pas l’importance d’un État fort et protecteur qui se soucie d’offrir des services publics de qualité à l’ensemble de sa population ?
Line Lamarre
Présidente
Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)