Projet de loi no 78 – Le collectif Échec aux paradis fiscaux entrevoit quelques écueils

Article publié dans le magazine L’Expertise – Avril 2021

Par Marc Dean
Conseiller à la recherche et à la vigie

 

Dans une optique de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, le gouvernement du Québec a déposé, le 8 décembre 2020, le projet de loi no 78 (PL78) visant principalement à améliorer la transparence des entreprises1.

Avec le PL78, le gouvernement souhaite entre autres doter le Québec d’un registre des bénéficiaires ultimes (RBU). Rappelons que, dès 2017, la Commission des finances publiques recommandait, dans un rapport sur la lutte contre les paradis fiscaux, que le gouvernement du Québec se dote de son propre RBU. Le budget de 2019 annonçait la tenue de consultations publiques relatives aux orientations et modalités d’un futur RBU québécois.

 

LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ CORPORATIVE

Le PL78 vient modifier la Loi sur la publicité légale des entre- prises (LPLE), laquelle encadre le Registre des entreprises du Québec (REQ), pour que ce dernier dispose de nouveaux objectifs de lutte contre la criminalité corporative et qu’il rende publiques les informations permettant d’identifier les bénéficiaires ultimes des entreprises assujetties.

La notion de « bénéficiaire ultime » fait essentiellement référence aux personnes physiques qui possèdent un contrôle effectif ou exercent un tel contrôle sur une personne morale ou une entité juridique donnée et pour le compte desquelles une opération est effectuée. Cette notion permet donc de viser les situations où la propriété ou le contrôle sont détenus par le biais d’une chaîne de détention ou par toute autre forme de contrôle autre que directe, y compris par l’entremise d’un prête-nom ou d’une fiducie2.

Ainsi, le nom de la personne physique qui détient ultimement une participation significative devra être divulgué au REQ. Dans le cas où la propriété ou le contrôle est détenu ultimement par une fiducie, les noms du fiduciaire, du constituant et des bénéficiaires de la fiducie devront également être divulgués.

 

AMÉLIORER LA FIABILITÉ DES INFORMATIONS DU REQ

En outre, le PL78 prévoit que le REQ doit prendre les moyens raisonnables pour améliorer la fiabilité des informations contenues. Il oblige les assujettis à déclarer certaines informations relatives aux personnes physiques qui sont leurs bénéficiaires ultimes, dont leur nom, domicile et date de naissance. À cet égard, il établit les conditions selon lesquelles une personne physique est considérée comme un bénéficiaire ultime et permet au gouvernement d’en déterminer d’autres par règlement.

Avec les années, la question de la propriété effective des entre- prises est devenue un enjeu majeur pour toute personne (journaliste, chercheur, militant, citoyen) ou État s’intéressant à la lutte aux paradis, à l’évasion et à l’évitement fiscaux.

Le collectif Échec aux paradis fiscaux3, dont le SPGQ est membre, salue le fait que le RBU proposé par le PL78 soit intégré au REQ. Ainsi, ce dernier assujettira les entreprises privées fermées et les fiducies, révélera le pourcentage de contrôle des bénéficiaires ultimes et sera d’accès public et gratuit.

 

ACCROÎTRE LA CONFIANCE DU PUBLIC ENVERS SES AUTORITÉS FISCALES

Au sujet du caractère public du RBU, le Collectif est d’avis que non seulement les autorités fiscales, corporatives et policières auront accès à ces informations, mais le public aussi, ce qui amènerait les entreprises à adopter une éthique stricte des affaires. Autrement dit, le caractère public du RBU permettrait d’accroître considérablement la confiance du public envers ses autorités fiscales, confiance essentielle au bon fonctionnement de l’impôt.

Le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, l’évasion fiscale et l’évitement fiscal profitent de l’opacité de montages corporatifs pour cacher ceux et celles qui profitent d’activités commerciales criminelles ou moralement discutables. Cependant, des éléments du PL78 nuisent à la pleine réalisation de ses objectifs, notamment le traitement des informations transmises et le seuil d’assujettissement des bénéficiaires ultimes.

À cet égard, le Collectif craint que les dispositions du PL78 ne puissent pas assurer une vérification complète des informations transmises. Pour y remédier, il faudrait doter le REQ d’un système de vérification systématique des données transmises, augmenter les pénalités en cas de non-conformité avec la loi et demander plus d’informations pour mieux identifier les bénéficiaires ultimes.

 

VÉRIFIER LES INFORMATIONS TRANSMISES

Le Collectif estime nécessaire d’établir un contrôle rigoureux de la validité des informations transmises en exigeant une preuve d’identité et une preuve de résidence. Il juge aussi pertinent d’instaurer un numéro d’identification unique servant à indexer les personnes physiques identifiées afin que l’adresse professionnelle ne devienne pas l’occasion pour une personne de créer un subterfuge. Enfin, dans le cas d’une personne physique résidant à l’étranger, le Collectif croit important de divulguer le pays de résidence dans les informations publiques du REQ.

 

APPLIQUER DES SANCTIONS DISSUASIVES

Les sanctions à tous manquements au registre devraient être dissuasives. De plus, il s’avérerait important de publiciser les informations recensées par le REQ. Certains pays ont mis en place des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Ces dernières font intégralement partie du caractère dissuasif des peines liées au non-respect des règlements liés au RBU. Le Collectif espère que les sanctions actuellement prévues par la LPLE, ainsi que leur application, seront revues dans l’optique de les harmoniser avec les nouvelles finalités du REQ bonifié en RBU.

 

ABAISSER LE SEUIL D’ASSUJETTISSEMENT DES BÉNÉFICIAIRES ULTIMES AUX RÈGLES BONIFIÉES DU REQ

Le PL78 fixe à 25 % le degré de propriété effective qu’un bénéficiaire ultime doit atteindre pour être assujetti aux règles bonifiées du REQ, ce qui est trop élevé. Le seuil d’assujettisse- ment des bénéficiaires ultimes devrait être abaissé à 10 %, selon le Collectif.

Un seuil aussi élevé que 25 % risque de ne pas atteindre les objectifs politiques à l’origine même des modifications proposées pour faire du REQ un RBU, soit d’augmenter significative- ment la transparence corporative pour le public. Il est possible pour des individus de manipuler les informations relatives à la propriété effective afin d’apparaître en deçà du seuil légal d’assujettissement. Un seuil de 10 % permettrait donc d’obtenir des informations beaucoup plus complètes et représentatives, tout en compliquant considérablement la tâche des individus qui tenteraient de contourner le régime proposé par le PL78.

Pour résumer, le Collectif considère que la vérification des informations, les sanctions en cas de manquement, la publicisation des informations et le seuil d’assujettissement à 10 % contribue- raient ensemble, et non isolément, à garantir le succès des objectifs escomptés par la réforme du REQ.

 

1. Projet de loi no 78, Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises.
2. Practical Law Canada Corporate & Securities, Bénéficiaires ultimes en vertu de la Loi sur les sociétés par actions, 2020.
3. Collectif Échec aux paradis fiscaux, Commentaires du collectif Échec aux paradis fiscaux sur le projet de loi no 78 : mémoire présenté à la Commission de
l’économie et du travail, février 2021.