Autonomie professionnelle et conciliation travail-vie personnelle : notions concurrentes ou alliées ?

7 juin 2021

Sur le plan personnel et social, personne ou presque ne lèvera la main pour affirmer que la pandémie sévissant depuis mars 2020 fût bénéfique à son bien-être. Toutefois, sur le plan professionnel, un constat se dégage : les expertes et experts du gouvernement du Québec ont conquis ce qui semblait inatteignable avant la crise sanitaire : la conquête de leur autonomie professionnelle.

Au Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), nous avons pu constater nos membres ont amorcé le télétravail au printemps 2020 avec très peu de consignes. Résultat ? Les digues de l’État n’ont pas cédé, car 90 % de nos quelque 30 000 membres, plongés subitement dans ce mode de travail, ont relevé le défi avec brio. Ces femmes et ces hommes ont continué à rendre les mêmes services, à répondre aux appels, sans être sur leur lieu de travail.

Cette franche réussite m’amène à différents constats. Le premier s’articule autour de l’idée que la COVID-19 a procuré l’autonomie nécessaire au personnel professionnel. Cette autonomie, je la perçois comme la capacité à fonctionner selon ses propres normes en se fixant des règles par soi-même et en les respectant.

Ces règles peuvent être fixées dans des domaines aussi variés que divers. La personne autonome sait ce qu’elle doit accomplir; elle s’organise donc pour y parvenir sans attendre un lot d’instructions de la patronne ou du patron. En cela, elle est la parfaite antithèse de l’ouvrier devenant fou en raison d’un rythme de travail imposé tyranniquement par la sirène de l’usine, magnifiquement illustré par le film bientôt centenaire Les Temps modernes de Charlie Chaplin.

Le second constat que m’inspire la situation touche le concept de conciliation travail-vie personnelle qui devrait, selon moi, être sous-jacent ou subordonné à celui de l’autonomie professionnelle. L’idée n’est pas ici de diminuer ou de minimiser la conciliation travail-vie personnelle. Bien sûr, nous avons tous besoin d’atteindre une forme d’équilibre entre les exigences et les responsabilités liées à la vie professionnelle et à la vie familiale. Pas toujours chose aisée en temps de pandémie…

Mais bénéficier pleinement de l’autonomie professionnelle devrait réduire ou, au mieux, éliminer la dépendance qui existe entre une personne professionnelle et sa hiérarchie. Pour cela, elle doit pouvoir prendre des initiatives et des décisions dans le cadre de son travail. Jouir d’une autonomie professionnelle va ainsi de pair avec la prise d’un certain nombre de risques, indépendamment d’une plage horaire.

Si l’autonomie professionnelle est consacrée, cela ne n’indique en rien que l’employeur peut joindre son personnel en tout temps. Toutefois, cela devrait signifier qu’une personne professionnelle cherche constamment des solutions dans le cadre de son travail – pas uniquement dans un horaire « 9 h à 17 h » – mais que, en parallèle, elle doit aussi profiter de plages horaires, intercalées à sa convenance, pour vaquer à ses diverses occupations et obligations découlant de sa vie personnelle et familiale.

Dans cette perspective, l’employeur doit évidemment pouvoir compter sur son personnel professionnel pour la réalisation de son travail. Cependant, le temps ne devrait pas être astreignant, du moins, pas au point d’empêcher le personnel professionnel en télétravail de conduire sa fille ou son fils chez le dentiste, de prendre le temps d’étendre ses vêtements sur une corde à linge ou d’effectuer un jogging pour s’aérer et se ressourcer.

Si l’autonomie professionnelle se veut la capacité d’une personne professionnelle à prendre des décisions dans le cadre de son travail – des décisions qui s’intègrent parfaitement au paysage professionnel dans lequel elle évolue –, cette autonomie devrait supposer que la personne professionnelle peut déterminer les heures pendant lesquelles elle accepte d’être interpellée par l’employeur et celles où elle souhaite jouir d’une déconnexion bien méritée.

En reconnaissant pleinement l’autonomie professionnelle, la pertinence d’y superposer la notion de conciliation travail-vie personnelle perd de son sens, entendu qu’elle devrait s’imbriquer de plein droit, tout comme un doigt fait partie de la main, dans le concept d’autonomie professionnelle. Reste à faire le pari que cette dernière ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la fin du télétravail obligatoire…

 

 

Line Lamarre
Présidente