Intelligence artificielle – Des enjeux à surveiller

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2021
par

Marc Dean, conseiller à la recherche et à la vigie
et
Michaël Andriantsoavina, conseiller à la gestion des ressources informationnelles

 

 

Pourriez-vous être un jour remplacé par un robot ou assisté dans votre travail par l’intelligence artificielle (IA) ? Juste de l’imaginer, on se sent projeté dans un film de science-fiction… Or, l’IA n’est pas une fiction :  c’est une réalité de plus en plus concrétisée sur le terrain. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces nouvelles technologies ?

 

D’ABORD, QU’EST-CE QUE L’IA ?

Selon l’Office québécois de la langue française, l’IA se définit comme suit : « Champ interdisciplinaire théorique et pratique qui a pour objet la compréhension de mécanismes de la cogni­tion et de la réflexion, et leur imitation par un dispositif matériel et logiciel, à des fins d’assistance ou de substitution à des activi­tés humaines. »

 

RÉFLEXION DU SPGQ

En amorçant en 2019 sa réflexion sur l’IA et sur ses effets sur le monde du travail, le SPGQ a immédiatement constaté que le déploiement de l’IA pose le problème de l’accumulation de don­nées sur toutes sortes de sujets, notamment des données person­nelles des citoyens, des consommateurs et des travailleurs. Il a également observé que l’accès aux données personnelles et à la vie privée est peu réglementé, de sorte que la protection des don­nées personnelles et de la vie privée devient un enjeu de société.

Le SPGQ préconise une gestion et un contrôle publics des don­nées personnelles gérées par le gouvernement. Il a recom­mandé que l’infonuagique gouvernementale soit totalement sous gestion et contrôle publics par du personnel professionnel du secteur public, dans son mémoire présenté en mai 2019 à la Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi no 14 favorisant la transformation numérique de l’administration publique.

 

CRAINTES ET ESPOIRS

Le déploiement de l’IA induit une automatisation et une robotisa­tion grandissantes des tâches. Les algorithmes permettent désor­mais d’analyser des masses de données d’une manière qui serait impossible pour un être humain. Certains travailleurs perdent leur emploi après avoir été remplacés par des logiciels et des robots, alors que d’autres voient l’exécution de leurs tâches facilitée.

Pour le personnel professionnel, la fin des tâches répétitives n’ap­porte toutefois pas que du bon. Dans un monde du travail miné par le stress, l’exécution de ces tâches constitue souvent un moment de détente puisqu’elle demande moins de concentra­tion que celle des tâches plus complexes. D’ailleurs, certains craignent qu’en complexifiant le travail, la disparition de ces tâches fasse augmenter les pro­blèmes de santé mentale, par exemple l’épuisement profes­sionnel, la dépression, l’insom­nie et la dévalorisation du travail humain, ce qui engendre une faible estime de soi. Les impacts de l’IA sur la santé mentale des travailleuses et travailleurs devront être monitorés par les orga­nismes publics compétents en la matière.

Même si l’implantation de l’IA soulève beaucoup d’inquiétude, elle laisse aussi entrevoir certains effets positifs. Elle fera dispa­raître des emplois peu spécialisés, ce qui pourrait être une bonne chose sous au moins deux aspects : ces emplois nécessi­tant peu de formation sont habituellement peu rémunérés et s’exercent souvent dans des conditions précaires où les travail­leurs sont exploités. Deuxièmement, des emplois plus spéciali­sés et complexes seront créés, ce qui peut être bénéfique pour un syndicat comme le nôtre.

La firme McKinsey & Company estime qu’en 2030, 50 % des activités actuelles seront automatisées. De plus, 50 % des emplois qui existeront dans ce proche avenir n’existent pas encore aujourd’hui.

Finalement, l’IA pourrait apporter une réduction progressive du temps de travail. En effet, les activités disparues en raison de l’automatisation correspondent à 30 % des heures travaillées globales. Rappelons que la diminution du temps de travail constitue une demande syndicale récurrente. Bénéficiant d’une charge de travail allégée et de plus de temps libre, les travail­leuses et travailleurs seraient plus disponibles pour les activités quotidiennes de leur vie personnelle et familiale. Les citoyennes et citoyens pourraient alors s’engager davantage dans la vie démocratique. Ils seraient appelés à devenir des agents de transformation de la société, au lieu d’être des spectateurs trop occupés par les responsabilités croissantes liées au travail et aux impératifs de performance dans toutes les sphères de la vie.

 

POLARISATION

Il pourrait y avoir une polarisation entre les emplois qualifiés et bien rémunérés liés à la conception d’outils d’IA d’un côté et, de l’autre, ceux peu qualifiés et faiblement rémunérés. Ainsi, les sec­teurs de l’industrie (-25 %), du transport (-22 %) et de l’adminis­tration publique (-18 %) connaîtront le plus de pertes d’emplois à long terme, selon PwC, une firme britannique spécialisée en audit et certification, fiscalité, transactions et conseils. De même, « pour chaque robot ajouté pour 1000 travailleurs aux États-Unis, les salaires diminuent de 0,42 % et le ratio emploi-population diminue de 0,2 point de pourcentage – à ce jour, cela signifie la perte d’environ 400 000 emplois (Sarah Brown, A new study measures the actual impact of robots on jobs. It’s significant. MIT Management Sloan School, 29 juillet 2020) dans le secteur industriel.

Par ailleurs, les contrats technologiques ne connaissant plus de frontières grâce à Internet, les entreprises auront accès à de la main-d’œuvre professionnelle technologique qualifiée à faible salaire dans des pays où le droit du travail est peu développé ou respecté. À terme, cela pourrait avoir pour effet de réduire les salaires et les conditions de travail au Québec.

Une étude de l’Université d’Oxford (Frey, C. B., Osborne, M. A. (2013), The future of employment: how susceptible are jobs to computerisation ?, Oxford Martin School, University of Oxford) a analysé l’impact de l’IA sur 702 professions du marché du travail étasunien qui varie selon le type de tâches réalisées. Les tâches les plus répétitives sont les plus confiées à des robots, mais d’autres le sont également, notamment certaines liées à la création et à l’analyse. Par exemple, les ordinateurs auraient plus de succès à déceler cer­tains types de cancers de la peau que les médecins. Pour cer­taines tâches spécifiques, les ordinateurs seraient donc plus performants que les humains, tant dans le domaine de la méde­cine que de l’informatique, du droit et de la comptabilité. Ces perspectives laissent entrevoir l’énorme défi que constitueront la formation et le perfectionnement du personnel au cours des prochaines années.

Selon PwC, les secteurs d’activité exigeant de hautes compétences et qualifications qui connaîtront la plus forte demande au cours des prochaines années sont ceux de la santé (+22 %), du personnel professionnel et scientifique (+16 %), de l’information et des com­munications (+8 %) et de l’éducation (+6 %). On pourrait égale­ment s’attendre à ce que le nombre de « professionnels hybrides » ayant développé des capacités pluridisciplinaires aug­mente. Par exemple, dans le domaine de la santé, les médecins pourront prodiguer des soins de qualité assistés par l’IA, diagnosti­quer et traiter avec plus de précision les maladies cardiovasculaires et les cancers, et contribuer à la conception de médicaments.

 

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Source: PwC (2018) UK Economic Outlook, July 2018 : https://www.pwc.co.uk/economic-services/ukeo/ukeo-july18-full-report.pdf

 

RÉÉQUILIBRE

Toutefois, de manière générale, le déplacement de la main-d’œuvre (20 %) et la création de nouvelles tâches laissent prévoir l’atteinte d’un équilibre global. L’automatisation avancée peut être compatible avec la productivité, les niveaux élevés d’emploi et une prospérité plus largement partagée.

Cela ne sera possible qu’à condition d’investir dans l’IA et de la développer pour ses nombreux bénéfices; d’éduquer les jeunes et de former les travailleuses et travailleurs pour les emplois du futur; d’aider ces derniers dans la transition; et de les autonomi­ser de manière à assurer une croissance largement partagée.