Le devoir de juste représentation

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2021

Par Patrice Blackburn, Conseiller en relations du travail – fonction publique


Un syndicat a le devoir de représenter ses membres. Or, doit-il le faire coûte que coûte ? Doit-il essayer de défendre l’indéfendable ? Apprenez-en plus sur le devoir de juste représentation des syndicats à l’égard des personnes qu’ils représentent.

Origine

C’est en raison du monopole de représentation détenu par une association syndicale pour laquelle elle détient l’accrédi­tation qu’existe le devoir de juste représentation, dont découlent les dispositions 47.2 et les suivantes du Code du travail. Les décisions et actions du syndicat ne doivent pas être arbitraires, discriminatoires, abusives, de mauvaise foi ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans cette unité.

Étendue

L’étendue du devoir de représentation vise tous les salariés d’une unité d’accréditation. Ainsi, tous les employés actifs ont droit à la juste représentation syndicale, qu’ils soient membres ou non du syndicat, qu’ils soient temporaires ou en période probatoire, en invalidité ou en congé sans solde, parental ou de maternité.

Ce devoir syndical s’applique aussi aux anciens employés, qu’ils soient retraités, qu’ils aient démissionné, qu’ils soient congédiés, mis à pied ou licenciés, pourvu que le litige ait pris naissance pendant le lien d’emploi et que les délais de grief soient respectés.

L’étendue du devoir de représentation dépasse la simple repré­sentation des individus. Elle concerne également l’offre de ser­vices. Ainsi, le devoir de juste représentation s’applique à la négociation de convention collective et à toutes les étapes du traitement d’un dossier lors de l’arbitrage et après celui-ci.

Toutefois, il exclut les services facultatifs, comme un recours à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ou à l’assurance-emploi. De plus, le devoir de juste représentation ne s’applique pas aux questions de régie interne des syndicats. Ainsi, une personne ne pourrait pas exer­cer un recours pour manquement au devoir de représentation syndicale en vertu de l’article 47.2 du Code du travail parce que les statuts et règlements n’auraient pas été respectés.

Enquête

Le syndicat seul à déterminer les modalités et l’intensité ?

Le syndicat jouit d’une discrétion importante relativement à l’intensité des démarches qu’il entreprend dans le traitement d’un dossier. Plus les conséquences sont graves, plus la démarche d’enquête devra être rigoureuse.

Ainsi, dans les cas de congédiement, de mesures disciplinaires, de harcèlement psychologique ou d’atteinte aux droits fonda­mentaux, les tribunaux seront plus exigeants à l’égard des syndicats concernant leur enquête. Toutefois, lorsque la conven­tion collective ne prévoit pas de droit aux griefs, l’enquête peut se limiter à vérifier si les décisions sont contraires aux articles de la convention collective, aux lois ou aux chartes.

L’enquête doit donc être sérieuse, menée avec diligence et bien documentée. Les syndicats doivent, s’il y a lieu, recueillir la ver­sion de la personne salariée, celle des témoins et celle de l’em­ployeur, puis obtenir le plus d’informations possible en fonction des faits particuliers de l’affaire (copie du dossier de l’employé, certificats médicaux, courriels, notes, etc.).

L’enquête remplit deux fonctions : faire la lumière sur les faits et aider les personnes responsables du dossier à décider de le por­ter ou non à l’arbitrage.

Harcèlement psychologique dans une même unité d’accréditation

Qui bénéficie de la protection ?

En matière de harcèlement psychologique, lorsque la personne présumée victime et la personne présumée harceleuse font par­tie de la même unité d’accréditation, qui bénéficie de la protec­tion de la juste représentation syndicale ?

Deux personnes syndiquées avec le même syndicat en oppo­sition dans un dossier de harcèlement psychologique ont toutes deux droit à la représentation syndicale ainsi qu’à une enquête juste et équitable. Dans ses enquêtes et sa représen­tation, le syndicat doit agir avec discrétion, vigilance, transpa­rence et objectivité.

Pour ce faire, des personnes représentantes syndicales dis­tinctes doivent être attitrées au dossier de la personne présu­mée victime et de la personne présumée harceleuse. Une fois l’enquête terminée, le syndicat jouit d’une discrétion basée sur l’évaluation du dossier et il soutient le dossier pour lequel la preuve est la plus prépondérante.

Avis juridique

Non obligatoire avant la fermeture du dossier

L’avis juridique n’est pas obligatoire pour la fermeture d’un dos­sier de grief. Une analyse sérieuse et rigoureuse des dispositions de la convention collective, des dispositions législatives, des informations recueillies lors de l’enquête, du fardeau de la preuve qui devra être présentée à l’arbitre, de la crédibilité des témoins et de l’appréciation de la jurisprudence pourrait suffire à déterminer si le syndicat ferme ou poursuit un dossier.

Ainsi, il n’y a pas d’obligation absolue d’obtenir un avis juridique, mais il peut être approprié dans certains cas complexes.

Collaboration essentielle de la personne salariée

La collaboration de la personne salariée est essentielle, et ce, tout au long du processus. La personne plaignante doit fournir les informations demandées, faire part de ses attentes et de ses intentions, et se présenter aux rencontres. L’absence de collabo­ration pourrait justifier le désistement du syndicat dans un dos­sier de grief.

Comme organisation, le syndicat a une grande discrétion dans le maintien ou le désistement d’un grief. Outre le fondement du dossier, il peut tenir compte, dans sa décision, d’éléments tels que les chances de succès du grief, l’importance des consé­quences pour la personne salariée, l’intérêt légitime du syndicat et des membres, et l’utilisation judicieuse des cotisations syndi­cales. Il est aussi important de mentionner que le syndicat a une obligation de moyens, et non de résultats, dans son devoir de juste représentation.

Une personne qui soutiendrait que le syndicat a failli à son devoir de juste représentation a six mois à partir de la connais­sance du fait reproché pour déposer sa plainte. Elle devra démontrer qu’elle a collaboré et que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou qu’il a fait preuve de négligence grave ou de mauvaise foi dans le traitement du dossier.

Pour en savoir plus, les membres de la délégation du SPGQ peuvent s’inscrire aux formations « Devoir de juste représenta­tion » et « Intro 2 ».