Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français : principaux impacts sur nos membres

21 janvier 2022

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2021

Par Philippe Desjardins, conseiller aux communications

Après de longs mois d’attente, le projet de loi no 96 Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (ci-après « PL96 ») a finalement été déposé le 13 mai 2021 par le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin- Barrette. Avec ce projet de loi, Québec investirait près de 104 M $ sur cinq ans, à compter de l’exercice financier 2021-2022, afin de défendre et de renforcer le statut du français comme langue officielle et langue commune du Québec.

Le SPGQ propose ici un survol du PL96 à travers le prisme des principaux impacts qu’il aura ou pourrait avoir sur ses membres.

Renforcement du champ d’action de l’OQLF

Le PL96 prévoit un renforcement du champ d’action de l’Office québécois de la langue française (OQLF). L’organisme hériterait également d’un nouveau pouvoir d’ordonnance. Par ailleurs, les éléments à inclure dans le suivi de l’évolution de la situation lin­guistique sont précisés et bonifiés, et l’Institut de la statistique du Québec serait davantage mis à contribution pour la produc­tion de données linguistiques.

Pour permettre aux entreprises d’être plus rapidement en mesure de répondre au droit de travailler en français de leurs employés, quelques précisions ont été apportées au processus pour réduire les délais administratifs à chacune des étapes. L’OQLF ayant été pourvu de ressources supplémentaires et conséquentes, il sera plus à même d’accompagner les entre­prises et de les aider à mettre en place les changements.

Rôle/Mission

  • Définir et conduire la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique et de terminologie ;
  • Veiller à la mise en oeuvre des programmes de conformité de l’Administration et de la francisation des entreprises ;
  • Surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec.

Pouvoirs

  • Ordonner à tout auteur d’un manquement à une disposition de la Charte de la langue française ou à ses règlements de cesser d’y contrevenir dans le délai qu’il indique ;
  • Analyser la situation linguistique des organismes scolaires et du réseau de la santé et des services sociaux, et effectuer toute inspection.

Responsabilités

  • Produire tous les cinq ans un rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec ;
  • Produire tous les deux ans un rapport concernant l’évolution des programmes de francisation et de conformité ;
  • Recevoir les plaintes relatives à tout manquement aux dispositions de la Charte de la langue française

Nouvelles structures

Ministère de la Langue française

Le PL96 crée un ministère de la Langue française afin d’atteindre la stabilité requise pour définir un aménagement linguistique qui vient pérenniser le statut du français au Québec. Ce nouveau ministère permettra à son titulaire de traiter du dossier de la langue d’égal à égal avec ses collègues des autres ministères.

Principales fonctions

  • Veiller à la cohérence et au suivi des actions gouvernementales en matière de langue française ;
  • Prendre toute mesure pour défendre, promouvoir et valoriser la langue française au Québec ;
  • Coordonner et offrir des services d’apprentissage du français, en classe, en milieu de travail, en ligne et sur les campus collégiaux et universitaires ;
  • Élaborer des services d’apprentissage du français dans certaines entreprises et mettre ces services en place ;

Commissaire à la langue française

Dans le but de doter le Québec d’une autorité qui sera réelle­ment en mesure de surveiller avec toute l’autonomie requise l’évolution de la situation linguistique, l’Assemblée nationale se verra confier la nomination d’un commissaire à la langue fran­çaise, nomination qui devra être approuvée par les deux tiers des députés. Le commissaire veillera à ce que les institutions parlementaires satisfassent aux obligations auxquelles elles sont tenues en vertu de la Charte de la langue française.

Principales fonctions

  • Effectuer des vérifications et des enquêtes ;
  • Recevoir les plaintes relatives à tout manquement aux dispositions de la Charte de la langue française par ces institutions ;
  • Faire rapport à l’Assemblée nationale sur divers éléments relatifs au dossier linguistique ;
  • Surveiller l’évolution de la situation linguistique au Québec ;
  • Intervenir en justice pour la défense de la langue officielle ;
  • Formuler avis et recommandations au ministre de la Langue française, au gouvernement et à l’Assemblée nationale, sur demande ou de sa propre initiative

Francisation Québec

Pour que le français soit la langue normale et habituelle du tra­vail, le PL96 institue au sein du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration une nouvelle unité administra­tive, Francisation Québec, dont les fonctions sont notamment d’offrir des services d’apprentissage du français, entre autres au sein des entreprises, pour les personnes qui ne sont pas en mesure d’utiliser la langue commune du Québec.

Francisation Québec sera dorénavant l’unique point d’accès gouvernemental à l’offre de services d’apprentissage du français pour les adultes domiciliés au Québec, dont ceux de langue anglaise. Elle sera en mesure de desservir l’ensemble du terri­toire québécois.

Principales fonctions

  • Coordonner et offrir des services d’apprentissage du français, en classe, en milieu de travail, en ligne et sur les campus collégiaux et universitaires ;
  • Élaborer des services d’apprentissage du français dans certaines entreprises et mettre ces services en place ;
  • Développer des programmes, du matériel et des outils pédagogiques pour faciliter l’apprentissage du français pour les personnes adultes domiciliées au Québec, dont celles de langue anglaise ;
  • Développer et mettre en oeuvre des programmes visant à donner la possibilité de participer en français à la société québécoise.

Exemplarité de l’état

Administration

En plus de veiller à ce que le français soit la langue exclusive des interactions orales et écrites de l’Administration avec les Québé­cois et Québécoises, le PL96 permettra l’application des dispo­sitions de la Charte de la langue française relatives à la langue de l’Administration à plus d’organismes, notamment les institu­tions parlementaires, les organismes dont le fonds social fait partie du domaine de l’État et leurs filiales.

Utilisation exclusive du français

Le français doit être la norme dans toutes les relations de l’Ad­ministration, dont celles qu’elle entretient avec les personnes, les entreprises et les gouvernements, par exemple en matière de communications écrites et orales, de relations contractuelles et de subventions.

Certaines exceptions permettront l’utilisation d’une autre langue, notamment les communications avec la communauté anglophone et les Premières Nations, pour faciliter l’accueil des personnes immigrantes et les relations internationales ou encore en matière de santé et de sécurité publiques.

De plus, l’accès au marché public sera réservé aux entreprises qui sont inscrites et en règle avec le processus de francisation auprès de l’OQLF lorsqu’elles y sont assujetties et aux entre­prises qui auront accepté l’invitation qu’elles auront reçue de Francisation Québec.

Travailler en français dans l’Administration

Le PL96 fait du français la langue exclusive des communications entre les membres du personnel de l’Administration dans l’exercice de leurs fonctions, tout en prévoyant certaines excep­tions, notamment au sein des organismes reconnus au sens de la Charte de la langue française. En outre, les organismes de l’Ad­ministration devront rendre compte du nombre de postes pour lesquels la connaissance d’une autre langue que le français est exigée ou souhaitée. Ce faisant, c’est le droit qu’ont les employés de l’Administration de travailler en français qui se voit protégé et renforcé.

Politique linguistique de l’État

Dans leur rôle exemplaire, les ministères, les organismes gouver­nementaux, les organismes municipaux et les institutions parle­mentaires seront assujettis à une nouvelle Politique linguistique de l’État. Cela permettra de mettre fin à une application à géo­métrie variable de l’actuelle politique gouvernementale.

La politique linguistique, élaborée par le ministre de la Langue française et approuvée par le gouvernement, permettra notamment de :

  • guider les organismes de l’Administration dans l’application de la Charte de la langue française, notamment en ce qui a trait à leur obligation d’exemplarité ;
  • guider les organismes de l’Administration dans l’adoption d’une directive, laquelle sera soumise à l’approbation du ministre de la Langue française. Cette directive viendra préciser la nature des situations dans lesquelles ils entendent utiliser une autre langue que le français lorsque cela sera permis par la Charte de la langue française ;
  • mettre en place des moyens de contrôle de la qualité du français au sein d’un organisme de l’Administration.

La future Politique linguistique de l’État devra aussi tenir compte de l’évolution des moyens de communication, et encadrer l’em­ploi et la qualité de la langue de l’État lorsqu’il utilise les médias sociaux ou d’autres technologies de l’information.

De manière à assurer une actualisation programmée, la Poli­tique linguistique de l’État devra faire l’objet d’une révision au moins tous les 10 ans, tandis que les organismes de l’Adminis­tration devant adopter une directive devront la réviser au moins tous les cinq ans.

Francisation des entreprises et langue du travail

Un processus de francisation amélioré

Le processus de francisation au sein des entreprises vise à atteindre la généralisation de l’utilisation du français sur tous les plans. Les entreprises visées par le chapitre sur la francisation des entreprises qui n’ont pas atteint l’objectif d’offrir un milieu de travail en français doivent adopter un programme de franci­sation qui leur permettra d’atteindre cet objectif et d’obtenir un certificat de francisation.

Pour permettre aux entreprises d’être plus rapidement en mesure de répondre au droit de travailler en français de leurs employés, quelques précisions ont été apportées au processus pour réduire les délais administratifs à chacune des étapes.

Des recours facilités

L’exigence de la connaissance d’une autre langue que le français pour l’accès à un poste étant devenue chose trop courante, le projet de loi vise à renverser cette tendance. Selon le PL96, les employeurs devront prendre tous les moyens raisonnables avant d’exiger la connaissance d’une autre langue.

En effet, un employeur qui souhaiterait ou exigerait la maîtrise d’une autre langue que le français pour un poste devra en démontrer la nécessité en évaluant les besoins linguistiques associés aux tâches concernées, en s’assurant que d’autres membres de son personnel ne possèdent pas déjà les compé­tences requises et en veillant à limiter à l’essentiel le nombre de postes requérant de telles compétences.

En outre, puisque le projet de loi rend également exécutoires les droits fondamentaux, ce qui comprend le droit de travailler en français, un travailleur pourra faire appel aux tribunaux pour que cesse toute atteinte à son droit fondamental.

Par ailleurs, le PL96 prévoit, pour les personnes salariées, le droit à un milieu de travail sans harcèlement ni discrimination en lien avec des enjeux linguistiques. La personne salariée qui souhaite faire valoir ses droits pourra le faire conformément au méca­nisme prévu dans son entente collective ou auprès de la Com­mission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Application de la Loi 101 aux entreprises employant de 25 à 49 personnes

Le PL96 prévoit que les entreprises employant de 25 à 49 per­sonnes seront désormais visées par les dispositions qui s’ap­pliquent aux entreprises employant de 50 à 99 personnes. Pour permettre une transition graduelle, une période de trois ans est prévue avant que ces entreprises soient visées par ce nouveau régime. Les autres dispositions qui s’appliquaient déjà à elles, comme celles incluses dans les chapitres portant sur la langue du travail et sur la langue du commerce et des affaires, continue­ront de s’appliquer. L’OQLF obtiendra les moyens nécessaires pour être en mesure d’accompagner ces entreprises.

Des services d’apprentissage du français adaptés pour toutes les entreprises

Pour que le français soit la langue normale et habituelle du tra­vail, le projet de loi institue au sein du ministère de l’Immigra­tion, de la Francisation et de l’Intégration une unité administrative, Francisation Québec, dont les fonctions sont notamment d’offrir des services d’apprentissage du français, entre autres au sein des entreprises, pour les personnes qui ne sont pas en mesure d’utiliser la langue commune du Québec.

L’OQLF déterminera annuellement, après consultation de Fran­cisation Québec, les secteurs d’activité où la situation du fran­çais est névralgique afin que des services clés en main soient fournis par Francisation Québec.

Enseignement postsecondaire

L’épreuve uniforme de français pour l’ensemble du réseau collégial

Une même épreuve uniforme de français, conditionnelle à l’obtention du diplôme d’études collégiales (DEC), sera admi­nistrée à tous les étudiants et étudiantes au terme de leurs études, et ce, indépendamment de l’identité linguistique de l’établissement dans lequel ils auront été formés. Les per­sonnes déclarées admissibles à l’enseignement primaire et secondaire en anglais qui font leurs études collégiales dans les établissements anglophones ne seraient pas assujetties à cette nouvelle disposition.

Immigration et apprentissage du français

Langue commune, langue d’intégration et droit à l’apprentissage du français

Pour assurer la pérennité, la vitalité et l’appropriation de cette langue commune, le PL96 engage expressément le gouverne­ment à prendre des mesures propres à favoriser l’utilisation, par tous, du français comme langue commune ainsi que son apprentissage par les personnes qui ne sont pas en mesure d’en faire usage.

Il est de surcroît envisagé de mandater le commissaire à la langue française pour faire le suivi de la connaissance, de l’apprentissage et de l’utilisation du français par les personnes immigrantes. Ce même commissaire pourra également, d’office ou à la demande du gouvernement ou de l’Assemblée nationale, enquêter sur les mesures mises en place par l’Administration pour veiller à ce que soient fournis des services d’apprentissage du français.

Communications avec les personnes immigrantes

Pour que le français soit clairement et définitivement la langue d’intégration des personnes immigrantes, le projet de loi prévoit que l’Administration, incluant les organismes municipaux, aura le devoir d’utiliser exclusivement la langue française dans ses communications écrites et orales avec les personnes physiques, hormis quelques cas d’exception.

En effet, lorsque la situation le commande, l’Administration pourra utiliser une autre langue que le français avec les per­sonnes immigrantes durant une période maximale de six mois. D’autre part, l’article 22.2 du PL96 précise que l’Administration pourra continuer de communiquer à l’écrit et à l’oral en anglais avec les personnes physiques avec lesquelles elle communiquait exclusivement dans cette langue avant la date de présentation du projet de loi, de même qu’avec des personnes déclarées admissibles à l’enseignement en anglais conformément à la Charte de la langue française.

Législation et justice

Version française des décisions rendues par écrit en anglais

Il est prévu dans le projet de loi que tout jugement rendu par écrit en anglais par un tribunal judiciaire sera immédiatement et sans délai accompagné d’une version en français lorsque ce jugement met fin à une instance ou lorsqu’il présente un intérêt pour le public. Pour les autres types de jugements rendus en anglais, ils seront traduits en français à la demande de toute per­sonne. Ce concept s’appliquera également à toute décision ren­due notamment par les tribunaux administratifs du Québec exerçant une fonction juridictionnelle.

Actes de procédure émanant d’une personne morale

Accéder à une justice et à une législation en français se traduit également par le droit pour toute personne de comprendre en français les actes de procédure qui la visent lorsqu’ils éma­nent d’une personne morale. Ainsi, le projet de loi prévoit que ces actes devront être accompagnés d’une traduction en fran­çais certifiée.

Conclusion

Vraisemblablement, l’OQLF, Francisation Québec, le ministère de la Langue française et le futur commissaire à la langue française auront besoin de professionnels pour mettre en pratique leurs nouveaux mandats. Aussi, puisque l’épreuve uniforme de français sera distribuée indépendamment de l’identité linguistique de l’établissement postsecondaire dans lequel les étudiantes et étu­diants auront été formés, la nécessité d’un plus grand nombre de correctrices et correcteurs devrait se faire sentir.

Par ailleurs, l’exigence de traduire plus de jugements devrait entraîner un plus grand besoin de traductrices et traducteurs. Puis, le personnel professionnel devra se familiariser avec la Poli­tique linguistique de l’État et la directive qui viendra préciser la nature des situations dans lesquelles chaque ministère et orga­nisme entend utiliser une autre langue que le français lorsque cela sera permis.

Sans aucun doute, le SPGQ suivra attentivement la suite des évé­nements. Il a d’ailleurs donné son point de vue et déposé un mémoire en septembre 2021 lors d’une commission parlemen­taire portant sur le PL96.

Décidément, ce projet de loi sur la langue risque d’être sur de nombreuses lèvres au cours des prochains mois !