Organisation du travail – La sous-traitance dans tous ses états

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2022
Par Philippe Daneau, conseiller à la recherche et à la vigie
et Philippe Desjardins, conseiller aux communications


Le SPGQ a passé au crible la sous-traitance des activités gouvernementales en 2021. Dans son rapport la sous-traitance au sein de la fonction publique, déposé le 30 août 2021, le Syndicat dresse comme principal constat que la valeur des contrats de services du gouvernement québécois s’élevait à 2,9 G$ pour l’année 2019-2020.

Selon le SPGQ, si ces travaux avaient été confiés à du personnel professionnel de l’État – dont la rémunération coûte de 30 % à 50 % moins cher que le recours à du personnel professionnel de firmes privées –, le gouvernement aurait potentiellement économisé entre 570 et 950 M$ par an. En outre, le Syndicat observe que les sommes payées par le gouvernement en 2019-2020 pour des contrats de services externes sont nettement plus élevées que la somme de 1,9 G$ qu’il a dédiée à la masse salariale de son personnel professionnel pour la même période.

Dans ce rapport, le SPGQ s’attarde aussi au Center for Civic Governance du Columbia Institute, à Vancouver. Ce dernier s’est intéressé à plusieurs municipalités au Canada et dans le monde ayant mis fin à la sous-traitance et à la privatisation de certains services. Conclusion : les coûts conduisent ces municipalités à rapatrier des services à l’interne, car les économies promises par le secteur privé ne figurent pas au rendez-vous.

Le contrôle de la qualité, la flexibilité, l’efficacité, les problèmes avec les entrepreneurs privés, la capacité et le moral du personnel ainsi que l’aide aux citoyennes et citoyens vulnérables font également partie du panier de motifs ayant amené plusieurs municipalités à changer de cap. Le SPGQ croit que le gouvernement devrait emboîter le pas à cette tendance. Pour y parvenir, l’État québécois doit rehausser son attractivité et recouvrer son expertise sans délai.

Dans la foulée de son rapport sur la sous-traitance, le SPGQ a souhaité approfondir sa connaissance de la sous-traitance gouvernementale ; il a ainsi fait en octobre 2021 une demande d’accès à l’information aux 15 principaux ministères et organismes (MO) de la fonction publique québécoise. Ces MO regroupent près de 75 % des membres, soit la vaste majorité des professionnelles et professionnels affiliés au SPGQ dans la fonction publique. Les objectifs de cette démarche consistaient en :

  1. vérifier dans quelle mesure le coût des travaux réalisés à l’externe en sous-traitance est plus ou moins élevé que s’ils avaient été réalisés à l’interne par les MO de l’État québécois ;
  2. estimer les coûts qui auraient pu être épargnés ou versés en trop par le gouvernement.

Dans le document produit par le SPGQ en décembre 2021 – État de situation sur la sous-traitance, demande d’accès à l’information – et dans une fiche complémentaire à ce document, il ressort que les contrats confiés en sous-traitance par Retraite Québec et par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) révèlent une situation préoccupante.

À Retraite Québec, le Syndicat a recensé 34 contrats de services qui s’élèvent à plus de 20 M$. À la CNESST, il s’est penché sur 39 contrats de services totalisant 33 M$. De ces 73 contrats, 58 concernaient le domaine des technologies de l’information (TI).

L’analyse des contrats pour Retraite Québec révèle que le taux journalier moyen pondéré d’un consultant s’élève à environ 624 $, alors que celui d’une ressource interne est d’environ 410 $, incluant les avantages sociaux, soit environ 215 $ de plus à l’externe. Pour 17 des 34 contrats, le taux journalier des consultants grimpe à 800 $ ou plus, soit près du double d’une ressource interne. Si ces travaux avaient tous été réalisés par du personnel professionnel de Retraite Québec, les coûts s’élèveraient possiblement à près de 14 M$, soit une économie de plus de 30 % ou d’environ 6,5 M $.

Un examen similaire des contrats de sous-traitance à la CNESST démontre que le taux journalier moyen pondéré d’un consultant s’élève à près de 628 $, alors qu’il est de 430 $ pour une ressource interne. Pour 14 des 39 contrats (36 %), le taux journalier des consultants est d’au moins 700 $, soit 270 $ de plus. La réalisation de ces travaux par du personnel professionnel de la CNESST aurait possiblement coûté moins de 23 M $, générant du même coup une économie de plus de 30 % ou de près de 10,5 M$.

Conscient que le gouvernement québécois ne peut tout réaliser lui-même, le SPGQ plaide depuis plusieurs années pour que les travaux confiés en sous-traitance soient circonscrits à des besoins ponctuels et spécialisés. Ainsi, les travaux touchant le cœur des activités des organisations gouvernementales devraient être réalisés ou rapatriés à l’interne. Cela permettrait entre autres de renforcer l’expertise interne et de reprendre le contrôle des dépenses publiques.

En mars dernier, le SPGQ a transmis le résultat de ses travaux sur la sous-traitance à la présidente du Conseil du trésor,
Mme Sonia LeBel. Il souhaite depuis s’entretenir avec Mme LeBel ou ses représentants afin d’identifier conjointement des solutions, autant pour que l’État s’affranchisse d’une sous-traitance excessive et coûteuse que pour rapatrier l’expertise à l’interne. À n’en pas douter, voilà un sujet qui n’est pas près de s’épuiser !


Pour en savoir plus