Pouvoir s’affirmer dans une négociation

Compte rendu du Congrès 2022

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2022
Par Anouk Frenette-Tremblay, conseillère aux relations du travail et à la négociation


Cet atelier du congrès tenu en avril s’est déployé autour de discussions avec les panélistes sur les bonnes pratiques à adopter pour savoir s’affirmer lors d’une négociation, l’idée étant de défendre l’intérêt collectif des travailleuses et travailleurs. Plus précisément, les choix stratégiques à effectuer lors de la préparation de la négociation collective, la planification des moyens de pression et les avantages liés aux fronts communs syndicaux étaient au cœur des échanges.

Le parcours des trois panélistes était annonciateur de succès : Sibel Epi Ataogul, avocate en droit du travail, Gérald Larose, professeur associé en travail social à l’UQAM, et Mélanie Laroche, professeure titulaire à l’Université de Montréal. Or, il fallait assister à leurs discussions informelles avant le début de la conférence pour comprendre que l’atelier serait intéressant, mais ô combien trop court ! C’est avec simplicité, intelligence, humour et fougue qu’ils ont éclairé la délégation.

La préparation, l’étape la plus stratégique, mais surtout le moment de se rapprocher du membrariat

D’abord, Mélanie Laroche souligne que la préparation constitue l’étape cruciale d’une négociation collective. Pour le syndicat, il s’agit d’un moment privilégié afin de se reconnecter avec les personnes qu’il représente. Il peut ainsi comprendre les enjeux vécus sur le terrain et la forme que prend la souffrance au travail.

Cet élan vers les membres se veut aussi une manière de mobiliser les gens. À juste titre, Pre Laroche a abordé la singularité des syndicats de professionnelles et professionnels : par nature, ils adhèrent moins aux revendications syndicales en l’absence d’explications. Ils appuient davantage la stratégie de négociation lorsqu’elle est le fruit d’un travail collaboratif. D’où l’importance de leur donner un espace pour débattre des enjeux de la négociation.

En ce sens, Pre Laroche suggère d’ouvrir les tables de négociation traditionnellement réservées à un comité restreint. Comment ? En faisant circuler l’information, en impliquant les gens et en s’assurant que la négociation ne se limite pas à l’apanage d’un comité restreint.

Le rapport de force est du côté syndical

Toujours selon Pre Laroche, la pénurie de main-d’œuvre et les problèmes d’attraction mettent en lumière, pour la première fois depuis de nombreuses années, que le rapport de force penche du côté syndical. Les organisations syndicales détiendront un avantage stratégique aux tables de négociation : il est temps d’exiger un rattrapage salarial et de revaloriser les emplois du secteur public, plutôt malmenés par les politiques d’austérité des dernières décennies.

Quant au type de négociation à privilégier, Pre Laroche précise que la négociation basée sur les intérêts (NBI) – surtout sur la résolution de problèmes – ne permet pas une utilisation maximale du rapport de force, et ce, comparativement à une négociation dite traditionnelle. Par ailleurs, la NBI implique une attitude collaborative de la partie patronale : on doit être deux pour danser la valse, ce qui n’est évidemment pas le cas lorsque l’employeur adopte la ligne dure.

Les moyens de pression – La grève est toujours réprimée, car elle a fait ses preuves

Me Sibel Ataogul, avocate en droit du travail et associée au cabinet Melançon Marceau Grenier Cohen, est aussi d’avis qu’une campagne de communication préalable à la négoci­ation s’avère essentielle. Elle estime que l’utilisation des médias sociaux est incontournable. Pour l’illustrer, elle affirme que peu de gens âgés de moins de 40 ans écoutent encore les publicités des grandes chaînes de télédiffusion.

S’il faut informer nos membres des enjeux qui feront l’objet de la négociation collective, nous devons aussi veiller à nous rapprocher de la population. Les professionnelles et pro­fessionnels représentés par le SPGQ constituent le capital intellectuel de l’État québécois, mais n’ont pas la sympathie du public. Pour Me Ataogul, il est important d’amener les citoyennes et citoyens à comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons.

À l’instar de Pre Laroche, Sibel Ataogul croit que nous sommes dans un moment charnière qui avantage les syndicats. Elle souligne qu’en matière de moyens de pression, rien n’est aussi efficace qu’une grève solidaire et forte.

Le dépôt de griefs ou d’autres recours peut agir en complément à la stratégie de pression à l’endroit de l’employeur. À titre d’exemple, Me Ataogul croit que nous aurions avantage à contester vigoureusement – advenant une grève – le recours à des employées et employés de remplacement (communément appelés briseurs de grève).

Selon elle, intensifier la résistance sur le terrain demeure impératif. L’organisation syndicale doit informer ses membres sur les moyens de pression envisagés, sans oublier de les diversifier. À l’externe, Me Ataogul privilégie de miser sur la transformation sociale, et d’éduquer la population sur le rôle des professionnelles et professionnels et sur les gains syndicaux, dont les avancées pour les droits des femmes.

Les fronts communs syndicaux à l’origine des grands gains sociaux du Québec moderne

Activiste, syndicaliste et professeur associé à l’École de travail social de l’UQAM, Gérald Larose a été président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) de 1983 à 1999, soit le plus long mandat de l’histoire de la confédération. D’entrée de jeu, il nous a rappelé qu’à pareille date il y a 50 ans, nous serions allés rencontrer les présidents syndicaux à la prison d’Orsainville. Ce premier front commun était composé de la CSN – dont le SFPQ et le SPGQ faisaient partie –, de la CEQ et de la FTQ.

Gérald Larose raconte que, depuis 1972, il y a eu 15 rondes de négociation, dont 11 fronts communs à géométrie variable. Parfois, les syndicats s’allient pour revendiquer leurs conditions de travail, alors qu’à certaines occasions ils ne coordonnent que la mobilisation.

Les fronts communs ont permis de soutenir des revendications comme l’équité salariale et les droits parentaux ou encore d’empêcher, au milieu des années 1990, l’employeur de piger dans le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP) ou de prendre un congé de cotisation.

Le saviez-vous?

Le Canada et le Québec sont les endroits dans le monde où, en moyenne, la durée des conventions collectives est la plus longue. C’est aussi le seul système au monde qui interdit la grève pour la durée de la convention collective. Avant d’interdire la grève avant l’échéance de la convention collective, le législateur a d’abord imposé une loi spéciale à la fin des années 1930 pour soutenir l’effort de guerre.

Pour les spécialistes en droit du travail, restreindre le droit de grève lors de la négociation se traduit par une tendance à régler les conflits collectifs en judiciarisation individuelle. En effet, en l’absence de séances de négociation rapprochées permettant d’apporter des améliorations à la convention collective, on se tourne vers les tribunaux.

Un des avantages des fronts communs est de favoriser le débat et l’arbitrage des priorités de la négociation aux syndicats, sans se le faire imposer par l’employeur.

Le front commun envoie aussi un message politique clair comme quoi il va se « brasser des affaires ». C’est une joute de l’opinion publique qui ne vise pas à remporter un concours de popularité, mais de crédibilité et de légitimité des revendications syndicales. Pr Larose souligne que les personnes syndiquées du secteur public ne demandent pas de faveurs : elles revendiquent des conditions de travail légitimes dans une société avancée.

On est assurément plus forts ensemble que lorsqu’on est seuls. Pour l’ancien chef syndical, le front commun augmente le rapport de force syndical et érode le bénéfice politique d’un gouvernement. À ce titre, Pr Larose souligne qu’à la suite des fronts communs syndicaux – ce qui est aussi vrai pour la grève étudiante de 2012 –, le gouvernement sortant perd systé­matiquement ses élections.

Pr Larose rappelle que l’introduction du réseau des centres de la petite enfance, de l’assurance médicaments, de l’équité salariale ou de l’assurance automobile résulte du mouvement social au Québec.

En fin d’atelier, la grève a occupé une partie des discussions. Pr Larose a émis cette mise en garde : si le SPGQ n’a pas de fonds de grève, dites-vous que l’employeur le sait ! La seule constitution d’un fonds de grève a un effet. Il y a 20 ans, lorsqu’il indiquait à l’employeur que les grévistes recevraient 200 $ par semaine, cela ajoutait de la pression pour régler avant même de devoir déclencher la grève.

Quelques mots sur le télétravail

Pour Mélanie Laroche et Sibel Ataogul, le SPGQ peut agir comme chef de file en matière de télétravail. La négociation collective ne s’annonce pas facile : les employeurs sont réfractaires, veulent faire perdurer la notion de privilège et continuent à miser sur des politiques organisationnelles qu’ils peuvent aménager à leur guise.

Pre Laroche attire notre attention sur le risque d’accroître les disparités hommes-femmes. En effet, les travailleurs visibles auront potentiellement plus de promotions et de mandats intéressants que les femmes invisibles, lesquelles seront plus nombreuses à se prévaloir du télétravail pour concilier la vie personnelle et le travail. Collectivement, nous devrons réfléchir aux conséquences de cette invisibilité. 

Vidéo de l’atelier

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