Environnement – Transition juste : le combat des syndicats

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2022
Par José-Frédérique Biron, conseillère à la vie syndicale

Les changements climatiques sont une réalité à laquelle l’humanité devra faire face plus tôt que tard. Certains vont même jusqu’à dire qu’il s’agit du plus grand défi du prochain siècle. Les syndicats ont déjà entamé la lutte pour la protection de l’environnement et des travailleuses et travailleurs.

La consommation d’énergie fossile génère des émissions de gaz à effet de serre causant les changements climatiques. Les modes de consommation et les économies fondées sur un modèle énergétique insoutenable doivent être repensés, insistent les experts. Ainsi, charbon, mazout, pétrole et gaz naturel doivent céder leur place à l’énergie éolienne, solaire, marémotrice et hydroélectrique.

Bien sûr, tout le monde est pour la vertu, mais souhaite aussi préserver son milieu de vie. Or, de nombreuses personnes dépendent, pour les revenus de leur ménage, d’emplois dans des secteurs économiques à forte intensité en carbone. Que faire lorsque, a priori, environnement et emploi s’opposent de manière aussi forte ?

L’environnement contre l’emploi

Dans le mouvement syndical, plusieurs se sont braqués par le passé contre les environnementalistes qui exigeaient plus de réglementations contre la pollution causée par les industries lourdes. Perçus comme des empêcheurs de tourner en rond par les travailleuses et travailleurs et par leurs représentantes et représentants syndicaux, les environnementalistes de la première heure négligeaient trop souvent les enjeux socioéconomiques en revendiquant des fermetures d’usines.

Les syndicats ont donc proposé le principe de transition juste. Apparue dans les années 1970 en Amérique du Nord, plus particulièrement aux États-Unis, la transition juste était originellement une stratégie réactive par des syndicats des industries polluantes. Ces dernières commençaient à faire l’objet de réglementations environnementales de la part des gouvernements, sous la pression des mouvements environne­mentalistes et écologistes.

Une transition énergétique à tout prix?

Au début de la lutte environnementale, les syndicats, surtout d’industries polluantes, réagissaient donc aux pressions envi­ronnementalistes en adoptant la stratégie de division patronale consistant à dire « l’environnement contre l’emploi ». D’ailleurs, les mouvements écologistes nuisaient souvent à la création des ponts avec les syndicalistes en ignorant les impacts des actions environnementales sur l’emploi et sur les rapports de production.

Encore aujourd’hui, de telles fractures demeurent entre les groupes environnementalistes et les organisations syndicales. Les premiers souhaitent souvent abandonner des pans entiers de l’économie, mais sans réfléchir aux conséquences humaines de ces potentielles mesures sur des communautés entières.

Le mérite de la transition juste revient à Tony Mazzocchi, alors vice-président de l’Oil, Chemical and Atomic Workers Union (OCAW), un syndicat regroupant des travailleurs de l’énergie et de la chimie. Mazzocchi a compris les mérites de « rapprocher les écologistes et les syndicats pour organiser une transition écolo­gique qui soit socialement juste, afin de contourner la stratégie patronale qui visait à diviser deux composantes essentielles de la gauche nord-américaine ».

Mazzocchi a, entre autres, « répandu l’idée que l’environnement et l’emploi n’étaient pas nécessairement opposés à condition de lutter pour une économie politique alternative ».

Juste seulement pour les travailleuses et les travailleurs?

La transition juste a longtemps été mise de l’avant par les organisations syndicales, principalement pour concilier à la fois le besoin de préserver l’environnement et leur mission de représentation et de protection des intérêts des membres. Cependant, la transition juste s’applique beaucoup plus largement.

La notion de transition juste réfère à la justice et à l’équité envers les communautés affectées par la transition, mais aussi envers celles qui sont les moins responsables des émissions de gaz à effet de serre à l’origine des changements climatiques. Il s’agit de considérer les inégalités économiques entre les pays du Sud (ou le Sud global), souvent décrits comme le « tiers-monde » ou en processus d’émergence économique.

Ces pays souhaitent croître économiquement, mais, dans l’éco­nomie mondialisée, cela implique bien souvent d’émettre plus de gaz à effet de serre. Malheureusement pour eux, le moment semble mal choisi pour avoir une économie émergente puisqu’on leur martèle, lors des innombrables sommets sur le climat, qu’ils doivent limiter leurs émissions, pourtant déjà minimes, comparativement à celles du Nord global. Comment assurer à ces pays une croissance et de meilleures conditions pour leur population dans un processus de décarbonisation des industries?

Ensuite, il y a un enjeu d’équité et de justice envers les communautés et les pays les plus touchés par les effets des changements climatiques. Par exemple, de nombreux pays insulaires du Pacifique risquent d’être immergés en raison de la hausse du niveau de la mer causée par les changements clima­tiques. Souvent, les pays et communautés non responsables des émissions de gaz à effet de serre sont les plus affectés par leurs effets. Il y a donc une notion de responsabilité puisque les communautés et les pays ne sont pas responsables des changements climatiques de manière égale.

Enfin, la transition juste touche également aux solutions trouvées pour lutter contre les changements climatiques. Celles-ci peuvent découler d’une bonne valeur ou intention, mais léser malgré tout des gens et sembler injustes.

Par exemple, la construction d’une nouvelle centrale hydroélectrique implique des transformations géophysiques et hydrographiques importantes ainsi qu’une destruction d’écosystèmes naturels probablement irréversible. Les impacts sociaux doivent aussi être considérés. Au Québec, les barrages sont construits sur des terres non cédées par les Premières Nations, Métis et Inuit, qui ont un droit ancestral et inaliénable sur celles-ci en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. La construction de barrages a des impacts sur leurs territoires de chasse ainsi que sur leurs possibilités d’exercer des pratiques ancestrales. Cela paraîtrait d’autant plus injuste si c’était fait à l’insu de la communauté et qu’aucun profit prove­nant de ce projet n’était réorienté vers la communauté en question.

Le rôle du SPGQ

En tant qu’organisation syndicale représentant les profession­nelles et professionnels de l’État, le SPGQ n’aura probablement pas à défendre la transition juste de la même manière que les syndicats d’industries polluantes. Ses membres ainsi que les autres travailleuses et travailleurs des services publics risquent de vivre différemment la transition énergétique. Plusieurs joueront un rôle de prévention, de mitigation et de réparation des conséquences des changements climatiques.

L’État a un rôle majeur à jouer dans la mise en place de politiques publiques favorisant la transition énergétique, peu importe qu’elle soit juste ou non. Les membres du SPGQ seront donc des acteurs incontournables de la mise en œuvre de la transition énergétique, et il est du devoir du Syndicat de s’assurer que ses membres seront les mieux outillés possible afin de faire face à ces défis. Il devra aussi s’assurer de l’exemplarité de l’État – qui est également l’employeur de ses membres – dans ses démarches et le talonner afin que le processus soit effectivement juste et ne laisse personne derrière.

Une chose est certaine, les États à travers le monde ont un rôle central à jouer afin d’assurer la transition juste puisqu’ils en sont les garants par la mise en place de politiques publiques. Ces dernières vont encourager la transition, tout en assurant des protections sociales pour les travailleuses, les travailleurs et les communautés engagées dans une démarche de transition.

Qu’est-ce que la transition juste ?

Pour être considérée comme « juste », une transition vers une économie décarbonée doit répondre à six exigences :

Créer des emplois « verts » décents, bien rémunérés et avec de bonnes conditions de travail. Les emplois verts doivent respecter les droits de la personne, le droit du travail et le principe du travail décent1.

Prévoir des processus de requalification et de formation des travailleuses et travailleurs des secteurs à forte intensité en carbone afin de leur permettre de se trouver un emploi. Ces formations aux technologies et aux processus propres et verts permettront à ceux déjà sur le marché du travail, lors de l’amorce de la transition, de se réorienter, plutôt que d’être mis à pied et laissés à eux-mêmes. Dans le même esprit, la formation pour le personnel futur doit également être adaptée aux pratiques vertes et propres.

Mettre en place des protections sociales pour les travailleuses et travailleurs afin de leur assurer un moyen de subsis­tance, le temps que s’effectue la transition. Ces protections donneront le temps de se former. Des mesures doivent aussi être prévues pour les personnes retraitées ou près de la retraite dont les fonds de pension pourraient disparaître à la suite d’une fermeture d’entreprise. Finalement, il faut accompagner les personnes affectées par la transition dans leur recherche d’emploi.

Instaurer un dialogue social incluant les gouvernements, les représentants des employeurs et des travailleurs ainsi que les autres groupes citoyens de la région ou de la communauté. Un tel processus doit être discuté et réfléchi collectivement afin que tous puissent avoir une voix au chapitre et s’approprier la démarche.

S’appuyer sur des recherches et des évaluations précoces des impacts que la transition aura sur la société ainsi que sur l’emploi afin de favoriser une prise de décision démocratique. Le but est de prévenir les effets négatifs en lien avec la transition et de les mitiger par des politiques publiques basées sur la science.

Mettre en place des plans de diversification économique spécifiques aux régions et aux communautés afin de soutenir les travailleuses et travailleurs, les communautés ainsi que les régions vulnérables à l’abandon d’économies à forte intensité en carbone. Par exemple, la transition énergétique se fera de manière bien différente entre la ville de Fort McMurray en Alberta, dont l’économie repose en grande partie sur l’industrie pétrolière, et la ville de Québec, qui jouit d’une certaine diversité économique.

1. Le travail décent repose lui-même sur quatre grands piliers : la création d’emplois et de moyens de subsistance durables, les droits du travail, la protection sociale et le dialogue social.