Qu’est-ce que la violence conjugale?

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2022
Par Émilie Beauchesne, conseillère à la vie syndicale : dossier des femmes, PAÉ et comité sur la diversité

Selon la définition utilisée par le gouvernement du Québec, la violence conjugale se caractérise par une série d’actes répétitifs, qui se produisent généralement selon une courbe ascendante.

Les spécialistes appellent cette progression « escalade de la violence ». Elle procède, chez l’auteur(e) de la violence, selon un cycle défini par des phases marquées par la montée de la tension, par l’agression, par la déresponsabilisation, par la rémission et par la réconciliation. À ces phases correspondent, chez la victime, la peur, la colère, le sentiment qu’elle est responsable de la violence et, enfin, l’espoir que la situation va s’améliorer. Toutes ces phases ne sont pas toujours présentes et ne se succèdent pas toujours dans cet ordre.

La violence conjugale comprend les agressions psycholo­giques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d’une perte de contrôle; c’est plutôt un moyen pour dominer l’autre personne et pour affirmer son pouvoir sur elle. Elle peut être vécue dans une relation maritale, extra-conjugale ou amoureuse, à tous les âges de la vie.

Quelques chiffres

Il faut également retenir que 8 victimes de violence conjugale sur 10 sont des femmes. Aussi, près de 1 travailleuse sur 3 a déjà subi de la violence conjugale.

Les conséquences de la violence conjugale sont sociales, écono­miques, physiques et psychologiques. Pour plus de la moitié des personnes victimes, la violence se poursuit au travail, rapporte le magazine Affaires universitaires. On parle de :

  • harcèlement par téléphone ou par texto (40,6 %);
  • harcèlement par courriel (15,6 %);
  • communication de l’agresseur aux collègues ou à l’employeur (14,5 %);
  • suivre la victime ou la harceler à proximité du travail (20,5 %);
  • l’intrusion sur les lieux du travail (18,2 %).

Toujours selon l’article de Melissa Fundira paru dans Affaires universitaires, on observe plusieurs conséquences sur le milieu de travail :

  • baisse d’énergie ;
  • confusion ;
  • diminution de l’attention ;
  • difficulté à prendre des décisions ;
  • hausse de l’absentéisme (notamment pour participer au processus judiciaire) ;
  • diminution de la productivité annuelle de 1,7 % à 2,7 % chez les personnes victimes de violence conjugale.

Des conséquences s’observent également au sein de l’équipe de travail de la personne victime :

  • sentiment d’insécurité ;
  • sentiment d’impuissance ;
  • prise du rôle de sauveur ;
  • anxiété ;
  • etc.

La littérature démontre que la période entourant une rupture de la relation conjugale est le moment où les risques de féminicide et d’infanticide sont les plus importants. Une étude publiée par Statistique Canada en 2001 rapporte que 49 % des homicides conjugaux sont commis dans les 2 mois suivant la séparation, 32 % dans les 2 à 6 mois qui la suivent et 19 % plus d’un an après celle-ci.

Et la violence coercitive?

De plus en plus, les personnes intervenant dans le milieu utilisent le concept de violence coercitive. Théorisée en 2007 par Evan Stark, dans l’ouvrage Coercive control : How men entrap women in personal life, la violence coercitive est définie par le ministère de la Justice du Canada comme :

« un processus cumulatif et structuré qui survient lors­qu’un conjoint ou un ancien conjoint adulte tente, par des moyens émotionnels et psychologiques, physiques, économiques ou sexuels, d’exercer à l’égard de l’autre une coercition, une domination, une surveillance, une intimidation ou une autre forme de contrôle. »

Concrètement, la violence coercitive se manifeste par :

  • la privation des droits et des ressources (droit à la liberté, à l’autonomie, etc.);
  • la surveillance;
  • des manifestations de violence (physique, psychologique, etc.);
  • des paroles blessantes;
  • de l’isolement;
  • de la domination;
  • de l’exploitation.

Plus précisément, l’agresseur peut utiliser :

  • l’intimidation (p. ex., menaces de se suicider ou de partir avec les enfants) ;
  • le harcèlement lors de surveillance des déplacements et des contacts ;
  • la fouille des affaires personnelles de la victime ;
  • l’isolement (p. ex., lorsque l’agresseur interdit à la victime de parler ou de côtoyer certaines personnes) ;
  • la privation (p. ex., le contrôle financier ou l’interdiction d’obtenir des soins médicaux).

Les concepts de violence conjugale et de violence coercitive sont complémentaires.

En somme, la violence conjugale a comme leitmotiv la prise de contrôle. Celle-ci se manifeste par une série d’actes répétitifs. Généralement, elle s’installe graduellement, puis progresse insi­dieusement et de façon cyclique.

Le privé est politique

Les féministes des années 1970 scandaient haut et fort que le privé est politique. Ce slogan dénonçait que le lieu privilégié de la domination masculine est justement la sphère dite privée.

Les féministes de l’époque réclamaient à la fois un rôle d’actrices dans la société et dénonçaient la violence qu’elles subissaient une fois la porte du domicile familial fermée. Plus encore, le mouvement des femmes affir­mait que les droits des femmes sont des droits de la personne.

Les choses ont évolué, mais ont-elles vraiment changé ?

Avec les nouvelles technologies de la communication, les auteurs de la violence utilisent la cyberviolence. Appels, textos, géolocalisation, espionnage, sextage et piratage des comptes sont largement utilisés. Il s’agit d’un autre exemple qui fait dire que le privé est poli­tique, car les victimes de violence conjugale n’ont jamais de répit, même au travail.

La violence conjugale est un enjeu social qui dépasse la sphère privée. Ainsi, il est de l’affaire de toutes et de tous de la contrer et de soutenir les victimes, y compris dans leur milieu de travail. Les employeurs et les syndicats ont donc un rôle clé à jouer.