Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme paru dans le Devoir en novembre 2024
« Dramatique ». C’est l’adjectif que choisit, sans hésiter, le président du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) pour qualifier la situation qui découle du gel du recrutement dans la fonction publique, annoncé à la fin du mois d’octobre par le Conseil du trésor. Contrairement à ce qu’avance le gouvernement, il y aura des répercussions sur les services à la population, prédit le syndicat.
« Partout, dans chacun des ministères et des organismes de l’appareil public, il y a des postes affichés et des taux de roulement préoccupants, parfois même inquiétants », assure le président du SPGQ, Guillaume Bouvrette, qui déplore un discours populiste de plus en plus répandu selon lequel il y a trop d’employés dans la fonction publique.
Depuis l’annonce de ce « gel du recrutement », qui a pris effet le 1er novembre, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a répété sur de nombreuses tribunes que cette mesure n’aurait aucune incidence sur les services à la population puisque les postes visés seraient uniquement ceux d’employés réalisant des tâches administratives.
« Dire qu’on va faire plus avec moins, et qu’il n’y aura pas d’impact sur les clientèles desservies, c’est mensonger », rétorque M. Bouvrette.
Le président du SPGQ cite en exemple la prise de rendez-vous à la Société de l’assurance automobile du Québec (après tous les retards causés par l’implantation de la plateforme SAAQclic), les accidentés du travail qui attendent des services de réadaptation et de l’accompagnement de la part de la CNESST, des retards dans le système judiciaire, qui manque de greffiers spéciaux et d’attachés judiciaires, notamment, et toutes les personnes victimes qui doivent se requalifier auprès de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) à la suite de sa réforme de 2021, dont les effets commencent à se faire sentir.
« Jouer à la chaise musicale »
Le gouvernement évite de parler de « gel des embauches », et utilise plutôt le terme « gel du recrutement », précisant que, jusqu’à nouvel ordre, les postes à pourvoir pourront l’être uniquement avec des employés qui font déjà partie de la fonction publique québécoise.
« Pour nous, ça ne change rien, précise Guillaume Bouvrette. La seule chose que ça permet, c’est de déplacer à l’intérieur du même ministère ou d’un organisme, ou alors de muter quelqu’un d’un ministère ou d’un organisme à l’autre. On va jouer à la chaise musicale, mais le problème va demeurer, parce que partout, il y a des besoins de main-d’oeuvre. »
Le syndicat s’attend à ce que la très grande majorité de ses 1260 membres ayant un statut occasionnel soient touchés par cette mesure, ce qui soulève des enjeux de rétention de l’expertise des jeunes professionnels.
En outre, un peu plus de 1800 personnes représentées par le SPGQ ont plus de 60 ans, selon des données fournies par le syndicat, qui craint que les postes laissés vacants à leur éventuel départ à la retraite ne soient pas pourvus.
Le « cercle vicieux » de la sous-traitance
Le SPGQ dénonce également que, parallèlement à ce « gel du recrutement », le gouvernement ne prévoit aucun gel des sommes affectées à la sous-traitance, qui est actuellement utilisée de manière « massive » au sein de l’État québécois, principalement en informatique, un domaine où plus de la moitié des ressources sont embauchées à l’externe dans plusieurs ministères, affirme M. Bouvrette.
« On tient le discours que les montants octroyés en sous-traitance ne font pas partie de la même enveloppe… C’est prendre les gens pour des idiots », déplore-t-il.
Dans un sondage effectué en 2023 par le syndicat auprès de membres ayant supervisé des travaux réalisés en sous-traitance, 76 % des répondants ont indiqué qu’en général, le coût de ces travaux est plus élevé ou beaucoup plus élevé que lorsqu’ils sont réalisés à l’interne (43 %). Dans le rapport produit à la suite de ce coup de sonde, le SPGQ estime à au moins 85 % cette hausse de coûts, voire à 100 % dans le cas des contrats informatiques.
« Il y a un cercle vicieux qui se dessine, souligne Guillaume Bouvrette. Si on perd des jeunes, qu’on ne remplace pas des contrats occasionnels et des départs à la retraite, il y a un enjeu sur le transfert d’expertise. Est-ce qu’on sera forcé d’avoir recours davantage à la sous-traitance ? On devient de plus en plus dépendant de celle-ci, et c’est vraiment préoccupant. »
Le président du SPGQ avoue que cette annonce du Conseil du trésor l’a pris par surprise. Il souhaite d’abord et avant tout que le gouvernement fasse preuve d’honnêteté envers la population.
« Si le constat que le gouvernement fait, c’est qu’on doit réduire les services offerts par l’État, qu’il le dise et qu’on ajuste le personnel en conséquence, clame-t-il. Mais présentement, ça fait longtemps que les gens qui œuvrent au service public font des miracles avec peu… Et c’est faux d’affirmer qu’ils vont pouvoir faire plus avec moins. »
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