Conciliation travail-famille : le télétravail n’est pas une panacée

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2020

Par Émilie Beauchesne, conseillère à la vie syndicale

et Isabelle Darisse, conseillère à la vie syndicale

 

La crise sanitaire, économique et écologique a engendré bon nombre de défis. Elle a également mis en lumière l’importance de mesures de conciliation travail-famille souples et disponibles pour les personnes travailleuses au Québec.

Du jour au lendemain, plusieurs se sont retrouvés à faire du télétravail sans nécessairement avoir les outils appropriés, surtout pour les milliers de personnes qui devaient s’occuper de leurs proches. Sans accès aux mesures collectives telles que les services de garde, la crise a exposé les faiblesses du télétravail, perçu jusque-là comme un idéal à atteindre sur le marché du travail, y compris par les organisations syndicales.

 

Résultats d’une étude

Durant le confinement, la Coalition pour la conciliation famille-travail-études (CCFTÉ) a conçu un questionnaire pour évaluer les divers enjeux reliés à la conciliation famille-travail-études dans le contexte de la pandémie et pour mieux comprendre la réalité des familles québécoises. Elle a constaté que le télétravail pose des défis importants. Plus précisément, les résultats démontrent une détresse psychologique marquée, une fatigue très importante et les limites du télétravail comme outil de conciliation travail-famille.

La souplesse des gestionnaires quant au rendement demandé a été mise à rude épreuve. Cependant, ils ont également fait preuve d’une grande empathie envers la situation complexe du télétravail et de la conciliation travail-famille. Le personnel professionnel a été créatif : alternance entre les deux parents afin que l’un travaille dans une zone de concentration sans les enfants, extension des heures de travail (soit tôt le matin jusqu’à tard le soir), heures coupées, etc. Après plus de trois mois dans cette situation, les familles québécoises étaient toutefois essoufflées et très fatiguées. La détresse était à la porte de plusieurs ménages.

Parallèlement, les réponses au questionnaire ont mis en lumière que la conciliation travail-famille est l’apanage des femmes. Elles représentent 73 % des personnes ayant vécu des défis. La gestion de la sphère domestique repose encore largement sur leur dos : leçons, ménage, liste d’épicerie, collations, repas, gestion de l’agenda, soins, etc. La charge mentale sur les femmes a explosé. On assisterait même à un recul des droits de femmes, selon Camille Robert, doctorante en histoire qui s’intéresse au travail invisible des femmes.

 

Rôle de l’État

Qui doit partager cette pression indue qui s’exerce majoritairement sur les femmes? L’État a certainement un rôle central à jouer dans les mesures facilitant l’arrimage entre les vies familiale, professionnelle et scolaire. La pandémie doit être l’occasion d’humaniser le travail et d’innover dans les pratiques.

 

Notre mission

La conciliation famille-travail-études et le télétravail sont des enjeux très importants pour le SPGQ, ce qui était déjà le cas avant la pandémie. En lien avec sa mission, le Syndicat joue un rôle important dans différents regroupements. Ceux-ci revendiquent un certain nombre de mesures dont l’application favoriserait une meilleure conciliation famille-travail-études et une plus grande égalité. En participant aux travaux de ces collectifs, le Syndicat est partie prenante des débats publics et travaille à bâtir une société plus juste pour toutes et tous.

Voici quelques mesures revendiquées par des organisations dont fait partie le SPGQ :

  • Fixer le nombre d’heures maximales travaillées à 32 par semaine sans réduction de salaire. Or, lorsqu’il est question d’heures de travail, il existe un biais genré. En effet, la question de la performance au travail favorise et valorise les hommes, souvent plus disponibles à offrir du temps à leur employeur que les femmes, sur lesquelles repose la prise en charge de la sphère domestique. Ainsi, les primes d’émérite et d’expert bénéficient davantage aux hommes. D’ailleurs, dans le contexte actuel, quelques initiatives en ce sens ont été mises en place pour favoriser la relance économique;
  • Légiférer en matière de prévention de la violence conjugale et octroyer des fonds pour les organismes qui travaillent auprès des victimes de violence conjugale;
  • Augmenter le salaire minimum à 15 $/h. Plusieurs services essentiels sont assumés par du personnel payé en deçà de ce seuil, demandé par l’ensemble des organisations syndicales et communautaires au Québec. Par ailleurs, la pandémie a mis en exergue les besoins accrus en syndicalisation dans différents secteurs d’activités. Les syndicats devront saisir cette occasion afin d’offrir au plus grand nombre des conditions de travail décentes;
  • Augmenter le nombre de places disponibles dans les centres de la petite enfance (CPE) et offrir des mesures facilitantes pour les enfants à besoins particuliers. Les services éducatifs publics doivent être accessibles et gratuits;
  • Rehausser la qualité des services publics offerts aux personnes aînées et augmenter les services de répit pour l’aide naturelle. Les résidences pour personnes aînées ne constituent pas une solution miracle au sous-financement des dernières décennies. Le Québec fait face au vieillissement de sa population et doit lui assurer des conditions de vie digne du 21e siècle;
  • Réformer la Loi sur les normes du travail (LNT) et la Loi sur la santé et la sécurité du travail(LSST), particulièrement en ce qui concerne les blessures au travail, l’ergonomie des espaces de travail, le nombre annuel de jours de congé familial, le droit à la vie privée et le droit à la déconnexion.

 

Rôle des employeurs

Du côté des employeurs, ils devraient participer à couvrir les coûts associés au télétravail (aménagement de l’espace de travail, fournitures, ligne téléphonique, Internet, etc.) puisqu’ils en récoltent les profits et, dans certains cas, font des économies, entre autres de loyer. Toutes ces mesures auront des impacts positifs sur les femmes, mais aussi sur les hommes.

En somme, les réponses obtenues par l’étude de la CCFTÉ montrent clairement que le télétravail tel qu’il est encadré actuellement est une mesure temporaire de conciliation travail-famille, et non une solution à grande échelle, surtout sans filet social. Des modifications juridiques et une étude sur les enjeux du télétravail en dehors d’un contexte pandémique sont nécessaires pour mieux encadrer cette pratique.

Les propositions contenues dans ce texte permettraient d’obtenir les moyens collectifs de réussir à concilier la famille, le travail et les études sans devoir négliger l’une de ces sphères.

Coalition pour la conciliation famille-travail-études

La Coalition réunit près de 20 organisations syndicales, communautaires et étudiantes autour d’enjeux communs de conciliation famille-travail-études. Le SPGQ en a été un membre fondateur en 2013.

ccfte.wordpress.com