La détresse au travail

Je ne compte plus les appels téléphoniques que je reçois à propos du harcèlement psychologique au travail. Si je le faisais, je crois que j’aurais de la difficulté à tomber dans les bras de Morphée le soir venu. Certaines semaines, c’est quotidien. La plupart du temps, après les salutations d’usage, la voix tremblotante se brise pour laisser la place aux larmes ravalées depuis trop longtemps.

Le récit, à quelques variantes près, reste le même. Tout allait bien au travail jusqu’à l’arrivée du nouveau gestionnaire. Du jour au lendemain, l’ambiance se dégrade. Vous marchez sur des œufs, vous ne comprenez pas très bien ce que souhaite ce nouveau venu. Votre charge de travail change (ridiculement à la baisse ou à la hausse), les consignes sont de plus en plus opaques. Quand vous demandez des explications, vous vous faites dire qu’en tant que professionnels, vous devriez être plus autonomes ou alors les nouvelles explications sont encore moins claires que les premières. En réunion, votre nouveau supérieur vous fait des reproches devant vos collègues, critique votre travail et vous vous sentez de plus en plus isolés, ostracisés, incompétents…

Et puis arrive ce matin où la journée avait pourtant commencé comme toutes les autres, avec cette boule dans l’estomac. Après des mois de ce régime de peur au bureau, au lieu de tourner à droite à l’intersection pour vous rendre au travail, vous tournez à gauche, vers la clinique médicale où vous vous effondrez dans le bureau du médecin. Ce dernier constate alors les ravages causés par le harcèlement au travail.

Récente conversation téléphonique :

Moi : Vous auriez dû me téléphoner avant, vous n’auriez pas dû endurer tout ça.

Le membre : Je me disais que tout allait s’arranger, que mon patron allait finir par me laisser tranquille.

Moi : Et puis ?

Le membre : Non, c’est pire. J’ai passé mes vacances à angoisser sur la date de mon retour au travail.

Les travailleurs au Québec sont protégés contre le harcèlement psychologique depuis 2004. Les syndicats ont par ailleurs été précurseurs dans ce domaine alors que certaines conventions collectives en traitaient bien avant la loi et que certains arbitres de griefs l’identifiaient déjà.

Si vous vivez une telle situation, vous devriez porter plainte au moyen d’un grief. La réparation demandée sera simple : que le harcèlement cesse. Ces gestionnaires toxiques peuvent faire des ravages dans les vies de plusieurs travailleurs et doivent être dénoncés. Plusieurs personnes choisissent de se taire, de laisser faire ou de carrément changer d’emploi pour se débarrasser du harceleur.

Une fois le grief déposé, les membres craignent souvent les représailles, une dégradation de la situation ou d’être identifiés comme « employé problématique ». Sachez que la loi vous protège contre les représailles. Osez dénoncer ces abus et faites entendre votre voix. Elle résonnera probablement chez bien des travailleurs.

Je crois en la force du nombre. Depuis la révolution industrielle, c’est grâce aux regroupements de travailleurs en syndicats (même alors qu’ils étaient illégaux) que le monde du travail s’est amélioré. Ils ont dénoncé le travail des enfants, exigé une diminution du nombre d’heures travaillées et demandé plus de sécurité dans les usines. Nous regardons aujourd’hui les conditions de travail des ouvriers du 19e siècle et nous apprécions tout le travail effectué par les travailleurs unis en syndicats. Plus d’un siècle plus tard, la recette n’a pas changé. À force de dénoncer le harcèlement psychologique, nous pouvons espérer que les nouvelles générations en feront l’expérience non pas en milieu de travail, mais dans leurs livres d’histoire.

 

Article rédigé par Chantal Maltais, conseillère aux relations du travail de la fonction publique à l’accueil

Magazine L’Expertise – Mai 2020