La sous-traitance sous la Coalition avenir Québec : toujours le « Far West »!

Faire plus, faire mieux. Tel était le titre du cadre financier de la CAQ lors de la dernière campagne électorale avec, entre autres, une volonté de réduire le gaspillage, notamment par une meilleure gestion de l’informatique. Si certains y voyaient une volonté de réduire la sous-traitance au gouvernement, au contraire, rien ne le laisse présager, après une première année du gouvernement de la CAQ avec le « shérif » Éric Caire comme ministre délégué à la Transformation numérique gouvernementale.

Les données sur la sous-traitance en provenance des ministères et organismes de la fonction publique, extraites du Système électronique d’appel d’offres (SEAO), démontrent plutôt une augmentation de la sous-traitance[1]. En outre, plusieurs grands projets informatiques amorcés sous le gouvernement libéral continuent, voire s’accélèrent, sous cette nouvelle ère caquiste. Par exemple, la consolidation des centres de traitement informatique et la modernisation du système de justice, pour ne nommer que ceux-là. En parallèle, le nouveau gouvernement mettait en œuvre en février 2019 sa volonté de réduire ses effectifs par une attrition de 1 % de sa masse salariale sur quatre ans, soit l’équivalent d’environ 5 000 postes[2].

Le SPGQ est d’avis que la CAQ continue d’appliquer les vieilles méthodes de l’ancien gouvernement libéral, qui n’ont qu’empiré la situation. Il estime que les économies se trouvent du côté de la sous-traitance. L’efficacité et la maîtrise des projets ne pourront être atteintes qu’en disposant des ressources suffisantes et avec l’expertise nécessaire. Pour ce faire, la fonction publique doit être attrayante en offrant des conditions avantageuses par rapport aux autres administrations et au secteur privé.

Le shérif Caire, grand détracteur des dérapages informatiques, a réclamé à répétition une commission d’enquête alors qu’il était dans l’opposition. Il tire maintenant dans la mauvaise direction en voulant diminuer une fois de plus la taille de la fonction publique dans une période de rareté de main-d’œuvre. Il poursuit comme un cowboy des projets amorcés sous l’ancien gouvernement, sans prendre le recul nécessaire pour mettre en place des conditions gagnantes. Selon le SPGQ, M. Caire devrait mettre un frein à la sous-traitance, le temps de trouver des solutions pour que la fonction publique dispose de l’expertise nécessaire à la maîtrise des projets.

La consolidation des centres de traitement informatique est un exemple de projet majeur pour la fonction publique. Annoncé en grande pompe en début d’année 2019[3], ce projet a des coûts estimés pour la première phase à un maximum de 150 M$ et les promesses d’économies annuelles devraient permettre de récupérer plus que les investissements initiaux. Rappelons qu’en 2017, l’ancien gouvernement parlait d’un projet de 100 M$[4]… Quand nous regardons l’explosion des coûts en informatique pour les grands projets gouvernementaux et la mainmise des consultants sur ces projets, il est difficile de ne pas douter de ces promesses. M. Caire ne devrait pas l’ignorer.

Autre exemple majeur dans le secteur des technologies de l’information : le gouvernement libéral annonçait en mars 2018 l’injection de 289 M$ pour mettre la justice à l’heure des nouvelles technologies d’ici cinq ans[5]. Depuis, les contrats de sous-traitance s’enchaînent à un rythme effarant, et ce, sans compter l’omniprésence des consultants dans les bureaux du ministère de la Justice du Québec (MJQ) depuis de nombreuses années. Parallèlement à cette succession de contrats, le MJQ admet candidement que, malgré tous ses efforts pour embaucher des ressources internes, il n’arrive pas à pourvoir tous ses postes. Rappelons enfin que le MJQ a entre autres été visé par un rapport du Vérificateur général du Québec en 2015[6]. Il soulignait notamment le recours important à des consultants de façon récurrente et pour de longues périodes ainsi que pour des mandats stratégiques.

La diminution de la sous-traitance et le recours plus grand à des ressources internes dans le secteur des technologies de l’information représentent un potentiel majeur d’économies pour la population, tout en étant plus performants. Le SPGQ croit qu’il serait également possible de faire plus à meilleur coût dans plusieurs autres secteurs.

À titre d’exemple, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) a abandonné depuis plusieurs années les services de conseil en orientation qu’ils donnaient à la population pour les confier au secteur privé. Dans ce contexte, la délégation locale du MTESS, avec l’appui du SPGQ, a amorcé depuis plus d’un an, sans succès, des discussions pour réintégrer graduellement des conseillers en orientation à son service. Le SPGQ a même été jusqu’à soumissionner sur certains appels d’offres de services professionnels en matière d’orientation afin de démontrer que les coûts sont plus élevés dans le privé. Malgré les propositions d’entente déposées par le Syndicat, le MTESS demeure inflexible et continue de sous-traiter aveuglément les services d’orientation professionnelle.

Tout le secteur des communications gouvernementales, qui a fait l’objet d’une centralisation sous la direction de Christian Lessard[7], un libéral notoire nommé par la CAQ en mars 2019 à titre de président-directeur général du Centre de services partagés du Québec (CSPQ), pourrait également générer des économies importantes en diminuant la sous-traitance et en embauchant plus de ressources à l’interne. L’analyse des données de sous-traitance nous démontre pourtant que la centralisation des ressources en communication a permis davantage de recours à la sous-traitance. Par exemple, dans le secteur de la traduction en 2009, l’ensemble des contrats de cette nature représentait un peu moins de 650 000 $. En 2018, l’ensemble des ministères visés par le décret créant le Secrétariat général aux communications a dépensé 1 934 192 $ en traduction, soit près du triple![8]

Si le gouvernement Legault et son shérif souhaitent réellement mettre de l’ordre dans les finances publiques pour faire plus et mieux, il doit abandonner son projet d’attrition. Il doit accepter de s’attaquer à la sous-traitance, tout en accordant des conditions de travail attractives pour se doter des ressources disposant de l’expertise appropriée et en nombre suffisant.

Texte écrit par Martin Alarie et Etienne Blanchette, conseillers


[1] Du 1er novembre 2018 au 28 février 2019, plus de 272 M$ ont été accordés en contrats, soit près de plus de 100 M$ par rapport aux mêmes périodes des deux années précédentes.

[2] Communiqué du Secrétariat du Conseil du trésor, Une saine gestion budgétaire au service de la population, 15 février 2019

[3] Communiqué de presse du ministre responsable de l’Administration gouvernementale et président du Conseil du trésor, Consolidation des centres de traitement informatique : le nouveau gouvernement du Québec pose le premier jalon de sa transformation numérique, 4 février 2019

[4] TVA Nouvelles, Alain Laforest, Québec se lance dans le regroupement de ses données informatiques, 4 février 2017

[5] Budget 2018-2019, Justice : un plan pour moderniser le système de justice, 27 mars 2018.

[6] Vérificateur général du Québec, Vérification particulière : contrats en technologie de l’information – Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2015-2016, 27 novembre 2015, www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_audit-particulier-enquete/fr_index.aspx?Annee=2015.

[7] Marc-André Gagnon, « Un libéral notoire promu par la CAQ à la direction du CSPQ », Le Journal de Québec, 20 mars 2019

[8] Données Québec, Jeux de données sur le système électronique d’appel d’offres (SEAO), 2009 à mars 2019