Lutte contre la violence conjugale et familiale – Le rôle de l’employeur

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2021

par

Isabelle Darisse
Conseillère à la vie syndicale

 

L’employeur a-t-il un rôle à jouer pour protéger les personnes victimes de violence conjugale et familiale ? Pour les organisations féministes et syndicales, cela ne fait aucun doute. Les attentes étaient donc élevées lorsque M. Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, a déposé le projet de loi no 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Est-ce que le ministre allait enfin obliger les employeurs à offrir un milieu de travail sécuritaire, plus particulièrement pour les personnes victimes de violence conjugale et familiale ? Oui, mais cela est un pas timide.

 

LA PROPOSITION

Le projet de loi précise que l’employeur doit « prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psy­chologique, incluant la violence conjugale ou familiale ». Dans le cas d’une situation de violence conjugale ou familiale, l’em­ployeur est tenu de prendre les mesures lorsqu’il sait ou devrait raisonnablement savoir que le travailleur est exposé à cette violence.

Dans les faits, c’est le strict minimum, si le Québec se com­pare au reste du pays. La province était, jusqu’au dépôt de ce projet de loi, l’exception où il n’y avait pas de dispositions sur la question. Il était temps que le Québec rattrape les autres provinces canadiennes.

 

OÙ ? QUAND ? QUI ? COMMENT ? POURQUOI ?

Mille et une questions sont demeurées sans réponse en com­mission parlementaire. La plus importante : lorsque ce projet de loi sera officiellement sanctionné, quelles stratégies seront mises en place afin que les employeurs puissent prendre leurs responsabilités et faire appliquer la loi ? Un questionnaire afin d’identifier les personnes victimes de violence conjugale et familiale, une déclaration obligatoire ?

Qui aura la charge d’appliquer ces nouvelles dispositions ? Une personne gestionnaire au fait d’une situation de violence pour­ra-t-elle fermer les yeux ? Quels outils seront mis à la disposition des employeurs pour soutenir et accompagner ces victimes de violence conjugale ou familiale ?

La question est délicate et la confrontation avec l’employeur pour négocier sur cet enjeu est donc inadéquate. Il faut une approche totalement différente, dans un esprit de collaboration et de parité.

 

CHEZ UNIFOR

L’exemple d’Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada avec 315 000 membres de toutes les sphères écono­miques, est très intéressant. Témoin des ravages de la violence sur les victimes, ce syndicat s’est assis avec les employeurs afin d’échanger sur la question. Il a été ardu, au début, de faire reconnaître la responsabilité de l’employeur d’intervenir auprès de personnes victimes de violence conjugale.

Les entreprises sous juridiction fédérale, comme Air Canada et Bombardier, dont les travailleuses et travailleurs sont syndiqués par Unifor, bénéficiaient déjà de dispositions plus importantes que celles présentées par le projet de loi no 59 (p. ex. : la possi­bilité, pour les personnes victimes de violence conjugale de prendre un congé d’au plus 10 jours). Le canal de communica­tion a été ouvert entre le syndicat et l’employeur pour échanger sur cette question, puis pour travailler ensemble dans la résolu­tion de cet important enjeu.

La violence conjugale et familiale n’a pas d’âge, de statut social et culturel, de niveau de scolarité ni de niveau de vie. Le syndicat a informé de manière neutre l’employeur sur la question de la violence conjugale en invitant diverses intervenantes commu­nautaires. L’employeur, sensibilisé et plus en compréhension de son rôle, a accepté de travailler le dossier de manière conjointe.

Les parties ont mis en place diverses stratégies afin de former un réseau de personnes répondantes sur cette question dans les milieux de travail, puis ont modifié les conventions collectives afin d’éviter que les personnes victimes de violence conjugale soient pénalisées.

France Paradis, représentante nationale à Unifor, explique que certains employeurs pouvaient être réticents à ajouter des congés dédiés à des personnes victimes de violence conjugale. Ce n’est pas tant le congé, mais la peur qu’il soit utilisé à d’autres fins qui freineraient les employeurs. Mme Paradis leur a répondu qu’il n’y a aucune victime de violence conjugale qui demande un congé par plaisir ou coquetterie. Elles ne s’en vantent pas et sont plutôt gênées de le demander, car elles tiennent à ce que leur situation demeure secrète.

C’était le dernier frein qui retenait l’employeur d’aller de l’avant. Depuis ce temps, l’introduction de clauses « violence conjugale et familiale » a fait son chemin au sein de nombreuses conven­tions collectives.

 

AU SPGQ

Le SPGQ est à mettre la main sur un plan d’action afin que cette question soit travaillée en collaboration avec l’employeur. En s’inspirant de l’expérience d’Unifor, le Syndicat espère tisser un lien durable avec le Secrétariat du Conseil du trésor et les employeurs de ses unités parapubliques afin que les personnes victimes de violence conjugale et familiale soient accompa­gnées et soutenues. La littérature scientifique révèle qu’une personne victime de violence conjugale ou familiale appellerait à l’aide au moins deux fois et passerait par quatre phases du cycle de violence (phase 1 : tension-anxiété, phase 2 : agres­sion-protection, phase 3 : justification-responsabilisation et phase 4 : rémission-espoir) avant de s’en sortir.

L’appel à l’aide d’une personne victime de violence conjugale et familiale doit être entendu, même – et surtout – si cela se passe au travail. Le projet de loi no 59 est imparfait, mais il ajoute des outils pour mieux soutenir ces personnes. Si le dernier rempart de paix et de sécurité pour ces personnes est le milieu du travail, employeur et collègues doivent être à l’écoute, comme une communauté prête à se soutenir et à avancer pour condamner ces types de violence. Ce sera bientôt le rôle des employeurs, et le SPGQ sera là pour les aider et les soutenir dans ces premiers pas historiques.

La demande du SPGQ est simple : l’État doit obliger, par sa légis­lation, les employeurs à soutenir les victimes. Chacun doit offrir 10 jours d’absence rémunérés pour les victimes de violence conjugale et familiale. Ce ne sont pas aux victimes d’assumer les coûts liés à la violence. La sécurité de chacun et chacune est une responsabilité collective.

 

Références :

COX, Rachel, Mémoire présenté au sujet des dispositions du projet de loi 59 sur l’obligation de protection de l’employeur en matière de violence conjugale, UQAM, 2021, 23 p.

REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE, Colloque Engagé.e.s ensemble contre la violence conjugale : PowerPoint des conférencières et conférenciers, 2019.

UNIFOR, Trousse de lobbying sur la violence familiale et conjugale (y compris le droit à des congés payés pour violence familiale), 2016, 8 p. 

VIOLENCE INFO, Le cycle de la violence, 2019.