Télétravail : une réalité à cerner

15 décembre 2020

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2020

Par Philippe Daneau,
Conseiller à la recherche et vigie

 

Dans la foulée de la crise sociosanitaire causée par la pandémie de COVID-19, des milliers de personnes ont été placées en situation de télétravail, notamment au sein de la fonction publique et parapublique du Québec. Le 7 juillet 2020, Radio-Canada révélait que le Secrétariat du conseil du trésor (SCT) prévoit qu’environ 60 % des fonctionnaires de la région de Québec poursuivent le télétravail à la suite de la crise, à raison de 2 ou 3 jours par semaine.

En outre, le télétravail constitue une formule très populaire. Un sondage réalisé en avril 2020 auprès des membres du SPGQ révèle que près de 94 % de ceux-ci sont favorables à l’implantation du télétravail dans leur milieu de travail.

Le télétravail constitue donc un enjeu important pour les membres et suscite de nombreuses interrogations, notamment celles liées au cadre juridique du télétravail.

Contrairement à d’autres provinces canadiennes, le Québec ne dispose pas d’un cadre juridique propre au télétravail : c’est le cadre général encadrant le droit du travail qui s’applique. Au regard du télétravail, les juristes se réfèrent donc aux lois existantes qui régissent le milieu de travail, notamment la Loi sur les normes du travail ou la Loi sur la santé et la sécurité du travail. En l’absence d’un cadre juridique spécifique, des zones grises et des incertitudes juridiques existent concernant les modalités d’application du télétravail.

 

Obligations fondamentales

Apparemment, les obligations fondamentales de l’employeur et de l’employé existent toujours dans le contexte du télétravail. L’employeur doit notamment déterminer le travail à réaliser, payer la rémunération et prendre les mesures appropriées pour protéger la santé et la sécurité du personnel.

Pour sa part, l’employé doit, entre autres, accomplir ses tâches, être présent durant les heures de travail, s’assurer que son poste de travail est sécuritaire et s’assurer de la confidentialité des données utilisées dans le cadre de son travail.

 

Enjeux juridiques chez l’employeur

Cela dit, d’un point de vue juridique, le télétravail soulève de nombreuses questions. En voici quelques-unes concernant l’employeur.

 

La surveillance

L’employeur a le droit de surveiller le travail d’un employé. Il doit cependant le faire dans le respect de la vie privée de ce dernier. Or, dans le contexte où l’employé travaille à la maison, d’un point de vue légal, son expectative de vie privée s’en trouve vraisemblablement rehaussée. Dans ce cadre, quels sont les moyens légitimes de surveillance de l’employeur? Quelles sont les limites à cet effet? À titre d’exemple, l’employeur a-t-il le droit d’utiliser des moyens de cybersurveillance, par exemple la captation d’écrans de l’ordinateur ou l’activation de la webcaméra de l’employé? Peut-il vérifier les courriels ou les sites web consultés par celui-ci? Un employé doit-il répondre aux demandes de l’employeur à tout moment?

 

Les outils de travail

L’employeur doit-il fournir en tout ou en partie le matériel nécessaire au télétravail (ordinateur, papeterie, etc.)? Lorsque les employés utilisent leurs outils informatiques personnels au travail, l’employeur peut-il consulter le contenu de ceux-ci?

 

Les heures supplémentaires

Qu’en est-il de la reconnaissance des heures supplémentaires par l’employeur? Pour justifier une non-reconnaissance des heures supplémentaires, évoquera-t-il que les heures de travail à domicile sont incontrôlables? Que dit le cadre juridique à cet effet?

 

Par ailleurs, le télétravail offrirait à l’employeur une occasion de diminuer les frais relatifs aux espaces de bureau, ce qui pourrait générer des économies substantielles. Le magazine américain Forbes a présenté des estimations à cet effet. Ainsi, dans certains cas, un télétravailleur permettrait à son employeur d’économiser environ 10 000 $ par année, notamment en raison de la diminution des frais de loyer.

 

Enjeux divers chez l’employé

Le télétravail comporte aussi son lot d’enjeux pour les employés. En voici quelques-uns.

Les télétravailleurs devraient bénéficier d’un droit à la déconnexion. La réalité des téléphones cellulaires, des textos et de la synchronisation des courriels aux appareils personnels fait en sorte que la personne n’a plus de frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle : les cycles de travail et de repos sont de moins en moins clairs. En France et en Allemagne, certaines entreprises procèdent à l’extinction de leurs serveurs informatiques en dehors des heures de travail afin d’empêcher l’envoi de courriels.

Un tel brouillage entre la vie personnelle et la vie professionnelle est susceptible d’accroître la durée du travail. Les risques d’épuisement professionnel pourraient donc augmenter en télétravail.

D’ailleurs, il semble que la productivité du personnel augmente en télétravail. Des études révèlent que des organisations ayant mis en place le télétravail observent généralement une augmentation de la productivité de l’ordre de 20 % à 30 %.

Les personnes en télétravail peuvent se sentir seules. Ainsi, des problèmes de santé psychologique peuvent en résulter. Une analyse de l’Organisation des Nations unies (ONU) publiée en 2017 révèle que, idéalement, le nombre de jours en télétravail serait de 2 à 3 jours par semaine. En deçà de cette période, le personnel n’y verrait pas un avantage significatif, tandis que, au-delà, le personnel pourrait souffrir d’isolement.

 

Dépôt d’un mémoire

À l’automne, le SPGQ prévoit de déposer un mémoire sur le télétravail. D’ailleurs, il entend consulter ses membres au début de l’automne quant aux difficultés éprouvées en télétravail, aux risques, etc. afin de soutenir la rédaction du mémoire. Ce dernier précisera, entre autres, le cadre juridique et les enjeux liés au télétravail. Nous espérons que le mémoire pourrait mener à une politique gouvernementale sur le télétravail qui uniformiserait les modalités d’application de cette nouvelle réalité et qui assurerait leur cohérence au sein de l’appareil gouvernemental.