Préjugés persistants – Les inégalités au cœur du système

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2021

Par Émilie Beauchesne, conseillère à la vie syndicale : dossier des femmes, PAÉ et comité sur la diversité,
Chantal Maltais, conseillère à l’accueil et l’information — Fonction publique
et Line Lamarre, présidente du SPGQ


L’égalité entre les hommes et les femmes est inscrite depuis 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et depuis 1975 au Québec dans la Charte des droits et libertés de la personne. Malgré cela, plusieurs inégalités subsistent.

Affirmer que l’égalité est atteinte au Québec, c’est faire fi des obstacles que rencontrent encore les Québécoises aujourd’hui : inégalités salariales, violences et féminicides, difficultés à obtenir justice, sous-représentation dans les lieux de pouvoir, discrimination systémique, etc. Voici quelques mythes à déboulonner.

Mythe 1

Les femmes apportent un deuxième salaire

Les femmes sont un deuxième salaire, dit-on parfois… trop souvent. Or, la réalité est tout autre.

« Dans à peu près 4 familles sur 10 (40 %), la femme gagne un revenu d’emploi qui ressemble à celui de son conjoint, sa contribution au revenu d’emploi se situant entre 34 % et moins de 66 %, indique le ministère de la Famille. Dans environ 13 % des familles, la contribution de la conjointe au revenu d’emploi est plus élevée que celle de son conjoint, c’est-à-dire qu’elle se situe entre 66 % et 100 %. »

Autrement dit, la femme participe de manière égale ou supérieure au revenu d’emploi dans 53 % des familles biparentales. L’homme a donc un revenu supérieur dans moins d’un ménage sur deux. De plus, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux, 29 % des familles avec enfants étaient monoparentales au Québec en 2016. Dans 22 % des cas, la femme est l’unique revenu familial. Bref, dans 75 % des familles, la femme n’est pas un deuxième revenu.

Quelques années ont passé, mais la situation des familles du Québec et du Canada n’a pas changé radicalement en quatre ans. Le revenu de la femme constitue très souvent un premier salaire pour la famille.

Malgré cela, les écarts salariaux demeurent en faveur des hommes. Les mères monoparentales sont plus pauvres que les pères monoparentaux. Quant au revenu des mères de famille biparentale, même lorsqu’elles ont le revenu le plus élevé, celui-ci est moins élevé que les pères ayant le revenu parental le plus élevé. Autrement dit, les femmes sont toujours plus pauvres que les hommes dans un statut comparable, sauf exception.

Les femmes ont donc tout intérêt à militer pour améliorer leur revenu et à réclamer une véri­table équité salariale. L’autonomie des femmes dépend de leur capacité à vivre et à faire vivre leur famille avec leur revenu d’emploi. Cette autonomie permet de sortir de situations de dépendance financière qui, parfois, mène à des abus et à des violences.

Mythe 2

Les femmes ont brisé le plafond de verre

Si quelques femmes ont brisé le plafond de verre, elles sont loin d’être la norme. En 2016, plus de la moitié des conseils d’admi­nistration au Canada (56,8 %) ne comptaient aucune femme. À peine 15 % en comptaient plus d’une. Les statistiques sont élo­quentes : les femmes n’occupent pas les places qui leur reviennent au sein des conseils d’administration. Il reste du tra­vail à faire pour vaincre les vieilles traditions masculines.

Doit-on imposer des quotas pour forcer les entreprises privées à donner aux femmes la place qui leur revient ? Le gouverne­ment du Québec, par sa Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, s’est déjà imposé une telle obligation et elle porte ses fruits. En cinq ans, la représentation globale des femmes au sein des conseils d’administration de ces organismes publics est pas­sée de 28 % à 54,4 %, indique le Conseil du statut de la femme.

Néanmoins, il reste du chemin à faire puisque le Québec compte à peine 19,8 % d’administratrices dans les conseils d’administra­tion. L’égalité n’est pas atteinte et les femmes doivent continuer de réclamer ce qui leur appartient. Être féministe, c’est revendi­quer ses droits et sa place.

Présence Femmes CA canadiens 2016

Mythe 3

Les femmes ne sont plus discriminées sur le marché du travail

Malgré des avancées historiques importantes, principale­ment depuis la fin des années 1970, les femmes sont toujours discriminées sur le marché de l’emploi. En effet, 36 % d’entre elles ont des conditions de travail atypiques (p. ex., emploi à temps partiel, temporaire ou travail autonome). De plus, 15 % travaillent à temps partiel contre 6 % des hommes, selon le Conseil du statut de la femme.

Même avec une formation universitaire et après des années de Loi sur l’équité salariale, les femmes gagnent toujours moins que leurs homologues masculins, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). En 2019, pour un poste de professionnel, les femmes étaient rémunérées en moyenne 42,30 $ l’heure, alors que les hommes gagnaient 45,13 $. Cela représente environ 93 % du salaire des hommes. Selon Jessica Bourque, deuxième vice-présidente du SPGQ, ces disparités salariales s’observent également dans la fonction publique du Québec.

Mythe 4

L’égalité est atteinte dans les couples

Selon les études, le partage des tâches domestiques demeure inéquitable dans les couples hétérosexuels. Les femmes effectuent jusqu’à 26 heures par semaine de travail invisible (tâches domestiques, soins aux personnes, travail de planification qualifié de charge mentale) pour la famille, les proches ou la communauté.

Ces disparités sont souvent justifiées par la notion du libre choix. Or, elles sont plutôt la conséquence de l’effritement de l’État-providence. La détérioration des services publics pousse les femmes à s’investir davantage dans la sphère privée. Il devient alors difficile de considérer ce choix comme étant par­faitement libre.

Par ailleurs, les statistiques sur la violence conjugale sont sans équivoque : aucune femme n’est à l’abri. Selon les données du ministère de la Sécurité publique, une femme sur trois subira une agression sexuelle au courant de sa vie. Plus encore, elles repré­sentent la totalité des victimes d’enlèvement dans un contexte conjugal. De plus, elles représentent 97,4 % des victimes d’agres­sions sexuelles, 96,9 % de séquestration, 91,3 % d’intimidation, 87,5 % de voies de fait graves et 86,3 % de harcèlement criminel. De plus, au cours des derniers mois, le Québec a vu déferler une vague de féminicides sans précédent. De nombreuses femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint.

Ces chiffres montrent bien que l’égalité est loin d’être atteinte. En plus, selon l’Institut de recherche et d’informations socioéco­nomiques (IRIS), la pandémie de la COVID-19 a empiré la situa­tion à bien des égards.

Les personnes qui prétendent le contraire minent le mouve­ment féministe, qui lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles donnent également de la légitimité aux discours antiféministes. Ainsi, quotidiennement, les femmes doivent non seulement défendre leurs acquis et revendiquer des droits, mais aussi déconstruire des idées mensongères.

Mythe 5

Les acquis sont… acquis

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant », prévenait Simone de Beauvoir dans son livre Le deuxième sexe, à la fin des années 1940.

La pandémie de COVID-19 a entraîné une crise à la fois sanitaire, économique et politique. Rapidement, un constat s’est imposé : les femmes ont écopé plus que les hommes dès le début de cette crise. « Les secteurs les plus malmenés par les fermetures sont des segments de l’économie qui emploient généralement plus de femmes que d’hommes : le commerce de détail, la res­tauration et l’hébergement, notamment. On pourrait ajouter également les établissements d’enseignement et les garderies », expliquait Gérald Fillion, journaliste à Radio-Canada, après près d’un an de pandémie.

Celles qui ont malgré tout conservé leur emploi ont dû, pour certaines, tenter de concilier le télétravail et l’école à la maison. « Durant le confinement de la première vague, le nombre d’heures consacrées aux enfants a augmenté de 27 heures par semaine pour les mères, comparativement à 13 heures pour les pères », selon un document gouvernemental obtenu par Radio-Canada. Ce constat rappelle que la lutte des femmes pour se tailler une place dans la société québécoise n’est pas termi­née et que la protection des acquis doit rester une préoccupa­tion quotidienne.

À chaque élection, le débat sur l’avortement revient raviver les passions. Ce n’est qu’en 1969 que la contraception et l’avortement (pour des raisons médicales) ne furent plus consi­dérés comme des crimes passibles de peines d’emprisonne­ment. Les femmes doivent continuer de faire du bruit, de dénoncer et de heurter l’édifice patriarcal, dont l’effritement est bien récent. Il faut donner la parole aux femmes sur la place publique pour raviver le féminisme, car, malgré les acquis, bien du travail reste à accomplir.

Ne plus tolérer l’intolérance

Le SPGQ demande à tous les membres de la société de poser des gestes forts, par tous les moyens, pour atteindre l’égalité réelle. Les inégalités entre les sexes doivent aussi être une préoccupa­tion des hommes et ils devraient s’indigner, eux aussi.

Voici quelques pistes de solution parmi les revendications :

  • allonger le congé parental pour les pères et le rendre obligatoire ;
  • légiférer pour intégrer les femmes dans tous les lieux de pouvoir ;
  • investir dans les réseaux qui offrent expertise et services aux femmes dans des situations de pauvreté, de violence ou de marginalité ;
  • concevoir des stratégies économiques qui prennent en compte les femmes (construction, intelligence artificielle, nouvelles technologies)

Ensuite seulement, il sera possible de commencer à parler d’égalité et d’équité.


Droits des femmes : une histoire récente

Les droits des femmes sont récents au Québec. Nos grands-mères et plusieurs de nos mères ont perdu leur nom en se mariant au Québec, et leur avenir ne compor­tait qu’un éventail bien mince de possibilités : la voca­tion religieuse, le mariage ou rester « vieille fille ».

Jusqu’en 1964, la loi les considérait « au même titre que les mineurs, les interdits et les imbéciles ». Le mari avait seul le pouvoir d’administrer les biens communs. Et même après, leurs droits variaient selon leur régime matrimonial !

Très tôt, les femmes ont compris que leur parole et leur liberté passeraient par les tribunaux. Au Canada, les pre­miers mouvements de suffragettes se sont organisés dès 1883. Au Québec, il a fallu attendre 1912 pour que la lutte des femmes s’organise. Les Québécoises ont été les dernières au pays à obtenir le droit de vote au provincial en 1940. Ce n’est qu’en 1961 qu’une femme a été élue et est entrée au parlement en la personne de Marie-Claire Kirkland-Casgrain, alors que ce n’est qu’en 1971 qu’une femme, au Québec, a eu le droit de faire partie d’un jury. Quant à l’égalité homme-femme, elle a été inscrite dans la Charte canadienne des droits et libertés… en 1982 seulement.