Conventions collectives – Compensation pour des sommes versées en trop

Article publié dans le magazine L’Expertise – Avril 2021
Par Rémi Boulay, conseiller en relations du travail et à la négociation ARQ

La principale mission d’un syndicat consiste notamment à négocier des conventions collectives. À cet égard, les conseillers en relations du travail et négociation ainsi que les officiers syndicaux s’assurent du respect des droits des employés prévus dans les conventions collectives et les lois d’ordre public. Dans les cas où l’employeur contrevient aux droits des employés professionnels, le recours aux tribunaux compétents est requis et utilisé par votre syndicat.

ERREUR SUR LE VERSEMENT DES PAIES OU DE PRESTATIONS

Plusieurs manquements des employeurs quant aux limites qu’imposent les conventions collectives et les lois d’ordre public en matière de compensations ont été observés. En effet, des erreurs commises par les employeurs sur le versement des paies ou de prestations d’assurance traitement sont fréquentes. Ces derniers n’hésitent pas à utiliser la compensation unilatérale afin de récupérer les sommes considérées comme versées en trop aux employés. Ils récupèrent ainsi ces sommes sans consulter les employés concernés ni obtenir leur autorisation.

Les conventions collectives incluent généralement des dispositions permettant à l’employeur la récupération des sommes versées en trop, par exemple l’article 7-2.10 de la Convention collective des professionnelles et professionnels de la fonction publique et de la Convention collective des professionnelles et professionnels de Revenu Québec. Dans ce cas, la présentation d’un grief patronal n’est pas exigée. Si certaines conditions sont respectées, l’employeur est en droit d’exercer la compensation unilatérale, tout en respectant les modalités de récupération prévues à la convention collective.

TROIS CONDITIONS POUR PERMETTRE LA COMPENSATION

L’article 1673 du Code civil du Québec prévoit trois conditions afin que la compensation soit permise : la dette doit être « liquide, exigible et certaine » :

  1. Le critère de la liquidité implique que le montant de la dette soit déterminé avec précision ou qu’il puisse facilement l’être. Or, une créance incertaine et litigieuse ne peut être considérée comme liquide ;
  2. Afin qu’elle soit exigible, la dette devra notamment être réclamée à l’intérieur des délais prévus par la loi, de manière à ne pas dépasser le délai de prescription extinctive ;
  3. La dette sera certaine si elle n’est pas contestée. Lorsqu’elle est contestée par grief, l’employeur ne pourra prétendre qu’elle est certaine puisqu’elle est litigieuse, à moins que cette contestation soit ridicule, frivole ou dilatoire

DÉLAI POUR RÉCUPÉRER UNE SOMME

Le Code du travail prévoit et impose un délai à l’employeur qui désire récupérer une somme versée en trop à un salarié. Il doit réclamer son dû à l’intérieur des six mois suivant le versement du montant considéré versé en trop.

L’article 71 du Code du travail stipule que : «  Les droits et recours qui naissent d’une convention collective ou d’une sentence qui en tient lieu se prescrivent par six mois à compter du jour où la cause de l’action a pris naissance. Le recours à la procédure de griefs interrompt la prescription. »

Par conséquent, dès que l’employeur constate qu’une somme a été versée par erreur à un employé, ou qu’il aurait normalement dû le constater, le délai de prescription débute. Six mois suivant ce moment, la dette s’éteint et elle n’est plus exigible.

Trop souvent, l’employeur omet de respecter cette obligation. Le SPGQ a été dans l’obligation de contester à quelques reprises la compensation exercée par l’employeur devant le tribunal d’arbitrage.

CAS D’UNE EMPLOYÉE SE PRÉVALANT DE L’ARTT

Pour un de ces cas, l’employée travaillait chez l’employeur depuis plusieurs années et bénéficiait d’un régime d’aménagement de réduction du temps de travail (ARTT), de sorte qu’elle disposait d’un lundi de congé sur deux. Elle demandait un congé sans traitement de six mois, ce qui lui a été accordé.

Au retour de ce congé, en mars 2016, elle croyait toujours bénéficier de l’ARTT, bien que, le jour du départ de congé sans traitement, la gestionnaire l’avait avisée qu’au retour, elle devrait renouveler sa demande afin de bénéficier à nouveau de l’horaire réduit. Bref, l’employée ne travaillait que 63 heures toutes les deux semaines et recevait un traitement sur la base d’un temps complet, soit 70 heures. Précisons qu’il n’y avait aucun appariement entre le système de paie et le système de gestion du temps travaillé.

En janvier 2017, le système de paie a été modifié, de sorte qu’il y a eu appariement entre les deux systèmes. À la mi-janvier, l’employée ne pouvait plus comptabiliser son lundi de congé. Elle a donc communiqué avec un représentant du service de paie à ce sujet. À la fin de janvier 2017, ce représentant a informé l’employée que des sommes lui avaient été versées en trop, et ce, depuis son retour au travail en mars 2016. Le 27 février 2017, l’employée a été informée du montant dû et du fait qu’il y aurait compensation.

Suivant les conseils de son représentant syndical, l’employée a présenté un grief à l’employeur et n’a pas reconnu devoir la somme qu’on lui réclamait. Malgré le grief, l’employeur a exercé la compensation jusqu’en février 2018, soit jusqu’à la récupération complète de la somme due.

LA CAUSE D’ACTION DOIT SITUER LE POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION

La bonne foi de l’employée ayant pu être démontrée, les conclusions de l’arbitre furent celles-ci :

«  La cause de l’action se situe au moment où l’Employeur payait en trop la Plaignante. Ainsi, à chaque paie où il y avait des sommes versées en trop, il existait une cause d’action. Cette cause d’action doit situer le point de départ de la prescription ;

L’Employeur peut-il prétendre que la prescription ne pouvait débuter avant que l’Employeur ne soit conscient qu’il existait un trop payé ? En somme, que la prescription ne peut débuter avant le “premier moment où la victime avait la possibilité d’agir” (art. 2904 C.c.Q.)? Le Tribunal ne le croit pas. En effet, l’obligation de payer la rémunération incombe à l’Employeur (art. 2087 C.c.Q. et 7- 2.01 c.c.) et, par voie de conséquence, il est de la responsabilité de ce dernier de calculer correctement les sommes qui sont dues à la Plaignante. Rappelons que la bonne foi de la Plaignante ne peut être mise en cause, elle n’a jamais agi de façon déraisonnable ou pour tromper son employeur. Normalement, il aurait dû être facile pour l’Employeur de déceler l’erreur. Ainsi, il est pour le moins curieux qu’il n’y avait aucune corrélation ni aucun échange d’information entre les feuilles de temps signées par la Plaignante et approuvées par son supérieur et le système informatique qui confectionnait la paie. L’Employeur a approuvé les feuilles de temps, mais n’a pas payé la rémunération qui en découlait. Pareille erreur n’aurait pas dû survenir ou à tout le moins, elle aurait dû être facilement décelable par l’Employeur. Cette erreur s’est perpétuée jusqu’à ce que l’Employeur rende compatible le système de feuille de temps et le système de paie. Pareil délai ne peut être imputable à la Plaignante. En somme, l’erreur de l’Employeur ne peut constituer une impossibilité d’agir au sens de l’article 2904 C.c.Q. ;

[…] Par ailleurs, soulignons que le début du processus de récupération a pour effet d’interrompre la prescription1. »

AGIR DE BONNE FOI, SANS CHERCHER À TROMPER L’EMPLOYEUR

Bref, retenons que le délai de prescription extinctive débute au moment où l’employeur constate ou aurait dû constater l’erreur. Dans le cas cité en exemple, le début de la prescription débutait à chaque paie où il y avait une somme versée en trop. L’employeur a interrompu la prescription dès qu’il a entrepris une action pour récupérer les sommes versées par erreur. L’employée devait toutefois agir de bonne foi et ne pas chercher à tromper l’employeur. Nous devons retenir également qu’une acceptation explicite ou même implicite de la dette par l’employée la privait d’invoquer la prescription.

Il est très important de joindre votre syndicat si vous doutez de la pertinence de la réclamation de l’employeur et d’être extrêmement vigilant puisque ce dernier cherche régulièrement à récupérer les sommes versées par erreur, qu’elles soient prescrites ou pas. Il est nécessaire d’indiquer aux représentants de l’employeur que vous ne reconnaissez pas la dette qu’il vous réclame.

Dans tous les cas, il est sage de communiquer avec les représentants de votre syndicat avant ceux de l’employeur.

  1. SPGQ c. Agence du revenu du Québec, arbitre Jean-Yves Brière, 2019-06-26.