Divulgation obligatoire de la preuve au préalable – un atout de transparence à conserver

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2021

Par Patrice Blackburn
Conseiller en relations du travail – Fonction publique

 

 

En pleine audience, coup de théâtre ! Le procureur de la partie adverse tente de vous déstabiliser en sortant de sous sa toge, dans un effet shakespearien, LE document déterminant dans toute l’affaire. Mieux encore, il appelle à la barre un témoin clé qu’il avait judicieusement caché dans les toilettes pour préserver l’effet de surprise.

 

Des tactiques semblables ont souvent été vues au tribunal (et au cinéma !), mais le SPGQ a réussi à inclure dans certaines de ses conventions collectives des articles pour éviter ce genre de situation. En droit du travail, l’effet de surprise n’a pas sa place.

 

CE QUE DIT LE DROIT

Le 19 février 2021, dans une affaire entre l’Association internationale des machinistes et travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale et Air Transat A.T. inc., Me André G. Lavoie a rejeté la requête en divulgation de la preuve présentée par la partie syndicale dans une décision arbitrale interlocutoire.

Dans sa décision, l’arbitre précise :

« Pris sous l’angle de l’application du Code du travail québécois et du Code de procédure civile, cette question ne porte plus véritablement à controverse, la jurisprudence arbitrale largement majoritaire reconnaît maintenant qu’aucune disposition législative en vigueur ne donne compétence à l’arbitre pour ordonner la divulgation des moyens de preuve d’une partie avant le début de l’audience. » (2021 QCTA 103 Association internationale des machinistes et travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale et Air Transat AT inc. (Christian Noël))

Il ajoute même que, si les parties souhaitent une obligation de la preuve au préalable, elles doivent le spécifier clairement dans la convention collective.

 

FONCTION PUBLIQUE

La Convention collective des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec prévoit justement un mécanisme de divulgation. Il se trouve à l’article 9-1.10, intitulé Rencontre d’échange d’informations et de documents. Le 3e paragraphe de l’article précise :

« Cette rencontre est obligatoire et vise à ce que toutes les informations et tous les documents pertinents au litige qu’une partie entend mettre en preuve lors de l’audience soient échangés afin que les positions soient comprises et que des avenues de solutions possibles soient dégagées. Une liste des documents transmis doit être remise à l’autre partie à cette occasion. » (tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/ressources_humaines/convention_collective/professionnels_1520.pdf)

Ça ne peut pas être plus clair ! De plus, cette rencontre a lieu avant de référer le dossier à l’arbitrage.

Pour le SPGQ, cette transparence tôt au début du processus est un élément clé pour accélérer le traitement des griefs et, surtout, pour trouver des solutions alternatives à l’arbitrage, par exemple la médiation et la conclusion d’entente hors cour. Malgré tout, l’arbitrage peut demeurer la seule issue au litige dans certains cas, malgré la divulgation préalable de la preuve. Cependant, celle-ci permet de faire des admissions, de mieux se préparer et de réduire le temps d’audience en limitant le débat à l’essentiel. Tout le monde est gagnant !

 

REVENU QUÉBEC

La Convention collective des professionnelles et professionnels de l’Agence de revenu du Québec dispose aussi d’un mécanisme de divulgation obligatoire de la preuve. L’article 9-2.03 prévoit ce mécanisme :

« En présence des représentants des parties, les procureurs, l’arbitre et, le cas échéant, les assesseurs, doivent tenir une conférence préparatoire, laquelle vise à maximiser l’efficacité du processus d’arbitrage et mieux utiliser le temps consacré au déroulement de l’audience, au plus tard quarante-cinq (45) jours précédant la date d’audience fixée.

Pour ce faire, les parties, par leur procureur respectif : […]

Dans ce cas-ci, puisque la divulgation se passe tout juste avant la date d’audience, il reste peu de temps pour analyser les documents et, surtout, pour trouver une solution alternative au litige.

 

AUTRES UNITÉS D’ACCRÉDITATION

Malheureusement, les conventions collectives des autres unités d’accréditation du SPGQ n’ont pas de dispositions aussi claires qui forcent les parties à divulguer leur preuve au préalable.

 

L’IMPORTANCE DE LA DIVULGATION

L’opposition des employeurs à la divulgation de la preuve est difficile à comprendre pour le Syndicat. Lors de chaque négociation, le SPGQ doit se battre pour éviter de perdre cet acquis, pourtant utile aux deux parties. Les employeurs plaident que les procureurs patronaux sont attitrés au dossier 30 jours seule- ment avant l’audience et la divulgation de la preuve documentaire les limite dans ce qu’ils peuvent estimer pertinent de produire devant l’arbitre.

Il s’agit d’un désaveu important de la qualité du travail des personnes conseillères en relations de travail des ministères et organismes. De plus, le Syndicat ne renoncera pas à un acquis aussi important pour pallier un enjeu organisationnel de l’employeur.

Les employeurs semblent grandement préoccupés par le nombre de griefs actifs et par leur délai de traitement. Lors- qu’ils prennent une décision, elle est basée sur un ensemble de facteurs, dont des documents qu’ils ont analysés. Ils ont donc, dès le départ, l’ensemble des informations sur lesquelles leur décision est fondée. Le Syndicat propose aux parties patronales de lui transmettre l’ensemble de la preuve documentaire pertinente dès le dépôt du grief. Tout le monde gagne alors du temps.

Lorsqu’un employeur sanctionne une personne salariée, son objectif ne doit pas être de se départir de celle-ci. La mesure doit plutôt amener la personne salariée à corriger son comportement. L’effet d’une preuve ou d’un témoignage surprise n’a donc pas de sens, car il brisera la personne salariée, plutôt que l’amener à revoir son comportement. Mieux vaut qu’elle sache rapidement ce qu’il en est. Si le comportement est incorrigible aux yeux de l’employeur, la sanction imposée en témoignera et cacher la preuve n’apporte rien.

L’objectif du grief est de s’assurer que la mesure est justifiée et proportionnelle à la faute. Comment savoir si c’est le cas lorsque le défendeur ignore certains faits ? Comment le Syndicat peut-il déterminer la légitimité de la sanction, sa proportionnalité avec la faute et la pertinence de la contester, s’il n’a pas tous les faits ?

 

LA TRANSPARENCE : UN AVANTAGE POUR TOUS

Il en est de même lorsque le fardeau de preuve est inversé, comme lors d’un grief pour dénoncer du harcèlement psycho- logique, d’une évaluation de rendement ou encore de la fin d’un stage probatoire. Il appartient alors au Syndicat de démontrer qu’il y a eu harcèlement ou abus du droit de gérance. La collaboration de la personne salariée à fournir rapidement à son syndicat l’ensemble de la preuve documentaire est ainsi primordiale pour pouvoir régler la situation promptement.

L’époque des tactiques douteuses et autres surprises au tribunal est révolue. La transparence est plus avantageuse pour tous !