Aménagement des espaces de bureau – Que change le télétravail?

14 décembre 2021

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2021

Par  Edith Tessier-Grenier, conseillère en santé et sécurité du travail
et Christine Joyal, conseillère à l’organisation du travail

Depuis déjà quelques mois, le gouvernement du Québec a annoncé ses couleurs en déposant sa politique-cadre en matière de télétravail pour le personnel de la fonction publique. Cette politique officialise le télétravail comme mode d’organisation du travail à part entière en l’instaurant en mode hybride, c’est-à-dire en alternance avec la prestation de travail dans les bureaux de l’employeur.

Ce virage accéléré vers le télétravail à mi-temps force employeurs et travailleurs à opérer d’énormes changements dans leurs habitudes et dans les façons d’organiser le travail. Parmi ces grands chantiers, celui de l’aménagement des espaces de travail au bureau figure parmi les plus importants.

Certains employeurs ont entrepris ce chantier avant la pandémie. D’autres ont profité des bureaux vides depuis mars 2020 pour commencer le réaménagement des espaces. Cependant, pour tous les employeurs, les réflexions sont loin d’être terminées.

DES ESPACES POUR COLLABORER

Dans un monde en post-pandémie où plusieurs personnes res­teront en télétravail, une tendance qui se dessine consiste à augmenter les espaces collaboratifs en milieu de travail. Puisque les travailleuses et travailleurs ont démontré que la productivité est maintenue (et même augmentée) lorsqu’ils travaillent de la maison, le monde du travail s’entend pour dire que les déplace­ments vers le bureau doivent apporter une réelle valeur ajoutée. À cet effet, les espaces collaboratifs sont décloisonnés et conçus pour permettre aux personnes de travailler en équipe plus efficacement ; ils peuvent ainsi favoriser la créativité ainsi que le partage d’idées et de connaissances.

La pandémie a aussi mis en lumière l’importance des liens avec les collègues, liens qui ont manqué à plusieurs personnes durant la dernière année et demie. Les espaces collaboratifs, lorsqu’ils sont bien pensés, peuvent contribuer à entretenir ces liens et participer au bien-être des employés.

Toutefois, il serait naïf de croire que cette transformation phy­sique des lieux de travail engendrera automatiquement une meilleure collaboration entre collègues si elle ne s’accom­pagne pas d’une réflexion plus profonde sur le mode d’organi­sation du travail.

D’abord, l’employeur devrait être souple quant aux journées de présence au travail, le but étant de se présenter au bureau au même moment que les gens qui travaillent sur le même projet ou qui assistent à la même rencontre. Des journées fixées à l’avance permettraient donc difficilement de tirer profit des espaces.

Aussi, il est important que les outils de travail soient faciles d’utilisation et fonctionnent bien. Par exemple, si une per­sonne quitte son poste vers un espace collaboratif, elle doit pouvoir facilement y brancher son ordinateur, projeter le contenu sur un écran, etc.

DES VOISINS À PROXIMITÉ

Si les îlots de travail et les espaces ouverts ont encore la cote, la pandémie a rappelé l’importance de maintenir une certaine dis­tance entre collègues. Avant la pandémie, les inconvénients des espaces ouverts dans lesquels les personnes travaillent très près les unes des autres étaient déjà connus : augmentation du bruit, concentration plus difficile, interruptions plus fréquentes, risque accru de détérioration du climat de travail due à une trop grande proximité, etc. Ajoutons à ces éléments le fait que le télétravail causera plus de réunions en vidéoconférence, même les jours de présence au bureau, ce qui pourrait devenir encore plus déran­geant pour les collègues à proximité.

De plus, certaines tâches ou certains emplois se prêtent mal ou pas du tout aux îlots de travail par besoin de tranquillité, de concentration et de confidentialité, ou par un besoin de communiquer souvent avec des personnes qui ne sont pas présentes au bureau. Pour certaines personnes (par exemple, celles composant avec un trouble du déficit de l’attention ou un trouble anxieux), il peut s’avérer très difficile de travailler dans un tel contexte.

IL EST OÙ, MON BUREAU ?

Les plus récents sondages auprès des employeurs laissent pré­sager une tendance à ne pas attribuer de postes de travail. Bien sûr, la réduction du nombre de bureaux aura un impact positif important sur les coûts. Dans ce contexte, il est facile de com­prendre l’intérêt que pourrait avoir un employeur à opter pour cette solution afin d’optimiser la superficie utilisée. Or, cette nouvelle réalité pose certains enjeux concrets.

D’abord, il y a lieu de penser à l’ergonomie de ces postes de travail partagés. Serons-nous en mesure de faire l’ajustement ergonomique du poste de travail qui nous sera assigné tous les matins (hauteur de l’écran, du bureau, inclinaison de la chaise, ajustement de l’appui-pieds, du repose-poignets, etc.) ?

Pour plusieurs, des adaptations à leur poste de travail sont nécessaires afin d’éviter d’aggraver des problèmes de santé, sur­tout ceux de nature musculosquelettique. D’ailleurs, plusieurs travailleurs bénéficient actuellement d’un poste de travail adapté à leur condition de santé ou à leurs caractéristiques phy­siques. Bénéficier d’un aménagement de bureau ergonomique et adapté constitue une condition de travail essentielle pour le personnel professionnel.

Au surplus, qu’adviendra-t-il des besoins particuliers de tout un chacun en matière de mobilier de bureau ? Si une travailleuse ou un travailleur a besoin d’une chaise spécialisée pour personnes de petite taille, d’autres pourraient avoir besoin d’un clavier ou d’une souris ergonomique, d’un repose-poignets, d’un écran supplémentaire, d’un bureau plus bas ou de plus d’espace étant donné leur taille, etc. Ces besoins ne disparaîtront pas lors du retour au travail en post-pandémie. La propagation des virus est également un enjeu ne devant pas être sous-estimé lorsque plusieurs personnes partagent du matériel de bureau.

Finalement, à l’heure où l’on parle de plus en plus de transfor­mer les milieux de travail en des espaces plus chaleureux et ins­pirés de la maison, l’instauration des bureaux partagés pourrait bien avoir l’effet contraire. Avec un espace de travail nécessaire­ment dépersonnalisé et épuré, il pourrait être plus difficile de s’y attacher et de développer un sentiment d’appartenance.

Aussi, pour certaines personnes, le fait de ne plus avoir son propre bureau et de devoir choisir un nouvel endroit tous les jours pour­rait être plus déstabilisant qu’on pourrait le croire. Un espace pour les effets personnels (chandails chauds, souliers, tasses, veston, etc.) et pour les essentiels de bureau (cahier de notes, documents de travail, livres, etc.) devrait également être prévu.

Si l’employeur choisit cette voie, il sera primordial qu’il prenne en compte les enjeux précédemment mentionnés ainsi que les besoins particuliers de chacun. L’employeur devra limiter les inconvénients liés à ces nouveaux aménagements afin de favori­ser le bien-être au travail, d’attirer et de retenir les personnes, d’éviter le développement de troubles musculosquelettiques, etc.

DEUX MODES DE TRAVAIL = DEUX BUREAUX

Qui dit mode hybride dit dédoublement des espaces de travail. En termes pratico-pratiques, cela implique deux bureaux, deux chaises, deux écrans, deux claviers, etc. Ce constat permet déjà d’entrevoir des enjeux qui risquent d’émerger rapidement lors du retour au bureau.

Qui paiera ? Alors que plusieurs travailleuses et travailleurs se sont déjà équipés (totalement ou partiellement) pour le bureau à la maison durant la pandémie, d’autres ont plutôt opté, avec l’autorisation de leur gestionnaire, pour la récu­pération du matériel adapté à leur condition qui dormait au bureau. Lors de l’implantation de la solution du mode hybride de manière permanente, un dédoublement de l’équipement deviendra nécessaire et occasionnera évidem­ment des coûts supplémentaires.

Il faudra également penser au transport du matériel de travail, inhérent au mode hybride, et aux enjeux qu’il occasionne. En effet, l’alternance de présence entre la maison et le bureau nécessitera un transport quotidien de l’équipement de travail, à tout le moins de l’ordinateur portable et possiblement de ses accessoires. Ce déplacement constant des outils de travail pour­rait occasionner une hausse des pertes, des vols ou des bris d’équipement, ainsi que des oublis à l’un ou l’autre des lieux de travail. Des enjeux de confidentialité, dont les balises ne sont pas encore entièrement définies, sont également à considérer.

CONCLUSION

Avant la pandémie, très peu d’entreprises québécoises permet­taient le télétravail de façon régulière. Les tendances en matière d’aménagement de bureau dans un contexte de télétravail sont donc en train de se développer. Les avantages et les inconvé­nients des différents modes d’organisation du travail ne sont pas encore tous connus.

Or, une chose est sûre : la pandémie a propulsé les gens en télétravail, mais le retour au bureau devra se faire avec une transition plus douce. Il faudra documenter les avantages et les inconvénients, puis rajuster le tir au besoin.

Les changements liés aux aménagements ont un impact majeur sur le bien-être au travail. Il est donc primordial qu’ils soient implantés en collaboration avec les personnes concernées et en tenant compte de leurs besoins particuliers.

Bref, peu importe le type d’aménagement proposé dans votre milieu de travail, il est important que vous demandiez à être consulté(e) et que vous en discutiez avec vos personnes délé­guées ou encore avec la délégation syndicale du comité ministériel de relations professionnelles (CMRP) de votre organisation.