Accident de travail – Une définition plus large qu’il n’y paraît

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2021

Par  Edith Tessier-Grenier, conseillère en santé et sécurité du travail

Épuisement professionnel, harcèlement au travail, lésions musculosquelettiques dues à une mauvaise posture : des événements imprévus et soudains ?

Une chute du haut d’une échelle, un doigt sectionné dans une machine, une entorse en soulevant une lourde boîte ou un trau­matisme crânien en tombant sur la glace. Il s’agit d’événements qui peuvent tous nous venir spontanément en tête lorsqu’on pense à un accident de travail.

Or, dans les faits, un spectre beaucoup plus large de circons­tances ou d’événements peut être considéré comme des acci­dents de travail au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et être couvert par le régime de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Une définition élargie

Dans la LATMP, l’accident de travail est défini comme suit : « un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, sur­venant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle ». Les termes « imprévu » et « soudain » évoquent principalement un fait acci­dentel comme une chute, un trauma, un faux mouvement, etc.

Or, depuis de nombreuses années, la jurisprudence a développé une définition beaucoup plus large de la notion d’accident de travail, communément appelée « l’accident de travail au sens élargi ». En d’autres mots, les tribunaux ont convenu que la notion d’événement imprévu et soudain, prévue à la LATMP, ne réfère pas seulement à un événement unique ou isolé, ni à un geste précis. En effet, cette notion a été élargie pour couvrir notamment les circonstances nouvelles, particulières, inhabi­tuelles, anormales ou très différentes par rapport aux conditions de travail normales.

Des circonstances hors de l’ordinaire

Ce qui est au coeur de la notion élargie de l’accident de travail, c’est le fait que « ça sort de l’ordinaire » ; c’est le caractère inhabituel par rapport aux conditions de travail normales de la personne. Par exemple :

  • une modification des tâches de travail qui nécessite un effort inhabituel ou soutenu ;
  • une modification du poste de travail ;
  • une surcharge inhabituelle et momentanée de travail ;
  • de nouvelles méthodes de travail inadéquates.

A contrario, en règle générale, les mouvements normaux ou habituels qui surviennent de façon non accidentelle ne sont pas considérés comme imprévus et soudains au sens de la LATMP.

En matière de lésions physiques

La notion d’événement imprévu et soudain au sens élargi peut notamment être appliquée dans les dossiers où la personne développe une lésion musculosquelettique, par exemple une tendinite ou une bursite de manière non accidentelle.

À titre d’exemple, dans une affaire entendue en 2013 devant le Tribunal administratif du travail (TAT)1

1. St-Pierre et UQAM – Service relations de travail, 2013 QCCLP 3084. , la travailleuse souffrant d’une tendinite et d’une capsulite à l’épaule soutenait que la sur­charge de travail et l’ergonomie déficiente de son poste de travail constituaient des événements imprévus et soudains au sens élargi. Madame commençait un nouvel emploi chez l’employeur. Une surcharge s’est vite fait sentir en raison d’un manque de per­sonnel et de délais de livraison serrés. Son nouveau poste a nécessité une utilisation de la souris plus de 90 % de son temps, et ce, contrairement à son ancien poste. De plus, l’aménagement de son poste de travail l’empêchait d’appuyer ses bras ou ses poignets, ce qui la laissait en position non ergonomique. La dou­leur à son épaule est apparue deux semaines plus tard.

Après avoir entendu la preuve des deux parties, le TAT a donné raison à la travailleuse en concluant que les changements majeurs dans ses conditions de travail, la surcharge de travail et une mauvaise « méthode de travail » en raison de l’ergonomie inappropriée de son poste de travail étaient assimilables à un événement imprévu et soudain.

En matière de lésions psychologiques

Pour les lésions psychologiques, la logique est sensiblement la même : les événements ayant contribué à l’apparition du dia­gnostic psychologique sortent-ils objectivement du cadre normal, habituel ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail ? Si la réponse est oui, soit qu’un événement imprévu et soudain est démontré, la personne pourrait être indemnisée par la CNESST.

Cette définition implique que les événements ne relèvent pas de l’usage normal du droit de gestion de l’employeur. Pour sortir du cadre normal, le travailleur devra démontrer que l’employeur a usé de ses droits de manière abusive ou déraisonnable.

En matière de surcharge de travail, il faudra faire la preuve d’un contexte de travail qui sort du cadre normal, habituel et prévi­sible du travail (augmentation des heures, nouvelles responsa­bilités, absence d’encadrement, etc.).

Soulignons que l’événement imprévu et soudain dans ce genre de contexte peut donc être constitué d’une série d’événements. Pris isolément, ceux-ci peuvent paraître bénins, mais ils deviennent significatifs lorsqu’ils sont analysés dans leur ensemble et peuvent constituer des événements qui ont un caractère objectivement traumatisant ou anormal.

Et la crise sociosanitaire, là-dedans ?

Et puisqu’on aborde la question des circonstances nouvelles, particulières, inhabituelles, ou anormales, impossible de passer sous silence la crise sanitaire. Il est indéniable que la pandémie a grandement bouleversé notre façon de travailler, que ce soit notre lieu de travail, nos tâches, notre horaire ou encore notre charge de travail.

Pour cette raison, il serait permis d’avancer que ces circons­tances « hors de l’ordinaire » puissent donner ouverture à la notion élargie de l’événement imprévu et soudain. Cette ouver­ture permettrait d’indemniser des personnes ayant subi des lésions musculosquelettiques ou psychologiques apparues à la suite de modifications des conditions de travail, d’une posture non ergonomique en télétravail ou d’une surcharge de travail. Reste à voir ce que les tribunaux en penseront et à se rappeler que chaque cas est un cas d’espèce