Réussir collectivement et se mobiliser – Mouvement syndical et mouvements sociaux

Compte rendu du Congrès 2022

Article publié dans le magazine L’Expertise – Juin 2022
Par Evelyne Dufour, conseillère aux avantages sociaux et à la retraite


Quel est l’apport du syndicalisme aux luttes collectives et celui de la société civile aux luttes syndicales ? Lors du congrès, les participantes et participants ont notamment réfléchi à la manière dont le mouvement syndical et les mouvements sociaux se coconstruisent, leur relation mutuelle et leur synergie dans la sphère publique, ainsi qu’aux moyens de faire avancer dignement les conditions de vie des travailleuses et travailleurs et, conséquemment, de l’ensemble de la société. Bref retour sur les présentations de nos trois panélistes, Martin Petitclerc, Francine Descarries et Christian Nadeau.

Débat entre les mouvements sociaux et syndical

Martin Petitclerc, professeur au Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et directeur du Centre d’histoire des régulations sociales, a indiqué très brièvement les raisons historiques qui expliquent le débat entre les mouvements sociaux et syndical :

  1. De 1940 à 1960, il n’y a pas de différence entre les deux, car le mouvement syndical en est un social en soi, qu’on appelle le « mouvement ouvrier » ;
  2. L’adoption du Code du travail en 1964 vient reconnaître le syndicat comme une institution centrale au capitalisme contemporain, et encadre ses droits et devoirs ;
  3. Cette forte judiciarisation restreint les syndicats à s’orienter principalement vers la protection des membres. Surgit donc une nécessité de repenser les mouvements sociaux en dehors des conventions collectives.

Ainsi, le travail est séparé des autres causes, ce qui explique aujourd’hui la relation qui existe entre les deux mouvements. D’abord, le syndicat est perçu comme un mouvement de la société industrielle, orienté vers la protection des acquis, très hiérarchique et judiciarisé.

De leur côté, les mouvements sociaux sont perçus comme des mouvements de la société post-industrielle, moins intéressés par les questions salariales, mais plutôt orientés vers les nouveaux besoins et droits sociaux. Ce sont des mouvements horizontaux, participatifs, moins hiérarchiques et judiciarisés (p. ex., les mouvements féministe, environnemental, antiraciste).

Une collaboration subsiste entre les deux parties, mais elle génère souvent des tensions et des conflits, car elles avancent dans une logique différente. Cependant, il ne faut pas désespérer, car :

  • Le travail, son organisation et ses conditions sont encore des enjeux fondamentaux pour l’ensemble de la société. Le mouvement syndical a non seulement un rôle essentiel à jouer, mais il est le mieux placé pour s’opposer à des formes néo­libérales d’organisation du travail qu’on tente d’imposer depuis quelques décennies ;
  • Des collaborations sont importantes et nécessaires entre les deux mouvements pour des enjeux qui touchent l’ensemble de la population, dont les personnes syndiquées (p. ex., les inégalités, la défense des services et de l’expertise publics, une transition écologique juste, etc.) ;
  • Le syndicalisme est encore une grande puissance institutionnelle et il y a toujours une possibilité de retrouver les racines des mouvements sociaux à l’intérieur même du mouvement syndical.

Mouvement féministe

Le mouvement des femmes a joué un rôle déterminant dans l’évolution de la pensée et des stratégies syndicales au Québec, affirme Francine Descarries, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.

Les syndicats ont longtemps été opposés à la présence des femmes sur le marché du travail et ont ensuite failli à reconnaître l’importance de leur participation. À travers les comités de femmes et l’Intersyndicale des femmes, elles ont grandement influencé les stratégies syndicales des années 1970. Les premières syndicalistes féministes se sont donné comme priorités d’exiger la fin de la discrimination salariale, d’obtenir des congés de maternité payés et des garderies accessibles, d’exiger une meilleure conciliation famille-travail et une meilleure représentation au sein des syndicats. Bref, elles ont lutté pour les intérêts immédiats des femmes dans le milieu du travail.

Les femmes ont entre autres forcé le mouvement syndical à se questionner sur sa culture et ses pratiques, et à insérer leurs préoccupations dans ses revendications. De plus, les comités de femmes et l’Intersyndicale des femmes apportent du soutien notable et organisé au mouvement féministe.

L’engagement des syndicalistes féministes a non seulement trouvé écho auprès des syndicats, mais il a aussi joué un rôle important dans la conception et l’organisation des grandes mobilisations qui ont jalonné l’histoire du mouvement des femmes au Québec, dont la marche Du pain des roses en 1995 et la Marche mondiale des femmes de l’an 2000.

L’action syndicale aujourd’hui – Quelques constats

Il reste encore beaucoup de travail à faire, mais les avancées réalisées à travers l’action syndicale, qui se concrétisent dans des mesures et législations, ont des retombées pour l’ensemble des Québécoises et Québécois.

Les constats de Christian Nadeau, professeur de philosophie politique à l’Université de Montréal, peuvent paraître pessimistes, mais ils doivent être considérés de façon constructive dans la réflexion sur l’apport du SPGQ aux luttes collectives de la société québécoise.

Aujourd’hui, les instances de délibération sont principalement dans des lieux décisionnels. Les discussions ne sont donc jamais totalement libres, car elles sont guidées par un objectif bien précis. De plus, elles se font uniquement avec les personnes élues ainsi que les intervenantes et intervenants jouant un rôle important dans le syndicat, et non avec les membres.

Ainsi, le message porté par les syndicats est reçu d’abord par des gens mobilisés qui en ont plein les bras. Comment rejoindre les membres ? En fait, l’organisation leur appartient et ils doivent en prendre possession. Une multiplication des lieux de discussion non décisionnels avec – et surtout par – les membres pourrait certainement contribuer à une meilleure mobilisation.

Le fait que le mouvement syndical regarde ses victoires comme des victoires sociales, alors qu’elles sont des outils de victoire sociale qui donnent parfois lieu à plus d’inégalités, contribue au choc entre les mouvements sociaux et syndical.

Si on ne donne pas lieu à une meilleure communication entre le mouvement syndical et les mouvements sociaux et avec la société en général, un gouffre de plus en plus grand sera créé. Le mouvement syndical doit éviter de se replier sur lui-même et contribuer à une multiplication des instances de discussion ainsi qu’à une prise de possession des luttes de la part des personnes concernées.

Orientations adoptées

À la suite de l’atelier, les orientations suivantes ont été adoptées :

Que le SPGQ se positionne comme allié des mouvements sociaux se portant à la défense des droits collectifs et de l’environnement, en étant à l’écoute des minorités, quelles qu’elles soient. En effet, les voix dissonantes sont une force sur laquelle s’appuyer pour débattre dans notre société.

Que le SPGQ soutienne l’autonomisation des femmes, des jeunes et des personnes racisées et issues de la diversité ou de tout autre groupe discriminé dans son sein, dans une perspective de renouvellement du mouvement syndical.

Pour ce faire, le SPGQ pourrait entre autres :

  • Organiser des activités thématiques informelles afin de faciliter les échanges entre les membres, ce qui favoriserait la motivation ;
  • Libérer davantage de membres et créer des fonds spéciaux pour faciliter leur engagement dans des causes collectives. 

Vidéo de l’atelier

>> Toutes les vidéos du Congrès 2022