Le syndicalisme : des bienfaits étonnants

Article publié dans le magazine L’Expertise – Décembre 2022
Par Philippe Daneau, conseiller à la recherche et à la viigie

Le taux de présence syndicale au Québec demeure le plus élevé en Amérique du Nord : environ 39 % en 2019. En comparaison, celui du reste du Canada s’élève à près de 29 % et celui des États-Unis, à seulement 12 %1.

Selon certaines analyses, le taux de présence syndicale au Québec aurait des impacts négatifs sur la société. Il conduirait, entre autres, à l’inefficacité sur le plan économique. Un des arguments évoqués tient au fait que la présence d’un syndicat, en raison d’avantages conférés aux salarié(e)s (p. ex., un nombre élevé de jours de vacances), contribuerait à réduire la productivité des entreprises. En outre, d’aucuns établiraient une corrélation entre le taux élevé de présence syndicale au Québec et l’existence d’une administration gouvernementale jugée trop volumineuse.

Taux de présence syndicale

Or, qu’en est-il dans les faits ? Au Québec, la vaste majorité du personnel de l’administration gouvernementale est syndiquée. Le taux élevé de présence syndicale du secteur public contribue-t-il à augmenter le taux de présence syndicale dans la société en général au Québec ?

En 2020, la proportion des employé(e)s du secteur public sur l’ensemble des emplois au Québec était similaire à celle du Canada. Au Québec, 23,1 % des emplois sont exercés dans le secteur public, alors que, dans le reste du Canada, cette proportion est de 21,2 %, soit un écart de seulement 1,9 %. Dans la société en général, l’écart du taux de présence syndicale entre le Québec et le reste du Canada ne s’explique donc pas par la présence d’un secteur public trop volumineux, mais plutôt par un taux de présence syndicale plus élevé dans l’ensemble des secteurs d’activité économique.

Les bienfaits du syndicalisme

Concernant les bienfaits du syndicalisme, en 2011, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) présentait un billet intitulé Pourquoi nous avons besoin des syndicats. L’IRIS y déclarait :

« […] Aucun pays n’a connu de prospérité économique et n’a érigé une véritable classe moyenne sans une forte présence syndicale.

À travers des luttes, les syndicats ont obtenu : la journée de travail de huit heures, les fins de semaine de congé, des lois sur la santé et la sécurité au travail, les normes d’emploi, le soutien au revenu pour les nouveaux parents, la formation pour les travailleurs sans emploi, les pensions gouvernementales, les salaires minimums, la protection pour les personnes blessées au travail ainsi que l’équité salariale entre les femmes et les hommes.

Grâce à la négociation et à l’établissement d’un rapport de force, les syndicats ont réussi à étendre ces gains à l’ensemble des travailleurs et des travailleuses2. »

Ces gains significatifs issus de l’activité syndicale ont-ils été réalisés au détriment de la croissance économique ? Autrement dit, les bienfaits décrits plus haut ont-ils des impacts négatifs sur la croissance économique, comme certains commentateurs l’affirment ?

Si un taux de présence syndicale freine la croissance économique, considérant que le taux de présence syndicale est plus élevé au Québec qu’aux États-Unis, un retard dans la productivité devrait être observé dans la Belle Province. Est-ce le cas ?

Quelques calculs

Pour y voir clair, comme en témoignent les travaux de Jean-Francois Lisée3, il convient de diviser la croissance du produit intérieur brut (PIB) du Québec (c.-à-d. la croissance de l’écono­mie) par le nombre d’habitants, puis de procéder au même calcul avec les données d’autres pays. Cette mesure démontre la santé économique d’un pays.

Partant de ceci, si l’on compare les États-Unis, où le taux de syndicalisation est faible, au Québec, où le taux de syndicalisa­tion est nettement plus élevé, une différence marquée de cet indicateur devrait s’observer si la présence syndicale freinait la croissance économique. Or, selon les données du graphique repris ci-dessous, l’analyse révèle que la croissance économique québécoise s’avère similaire à celle des États-Unis. En fait, elle est même supérieure à celle du géant américain environ une année sur deux. Le taux de syndicalisation ne semble donc pas influencer la productivité.

Croissance du PIB par habitant aux États-Unis et au Québec de 1989 à 2011

Source : Fonds monétaire international et Statistique Canada, cités dans Lisée (2012), p. 19.

En outre, la présence de syndicats semble avoir des impacts sur les heures de travail et sur la rémunération du personnel, comme le démontrent certaines données de l’Enquête sur la rémunération globale au Québec de l’Institut de la statistique du Québec.

Le tableau qui suit présente, dans le secteur privé, le nombre d’heures normales hebdomadaires travaillées et la rémunération globale horaire selon certains titres d’emploi4 de formation universitaire au Québec en 2020, selon que les employé(e)s sont syndiqués ou non. L’analyse des données du tableau révèle que, dans la quasi-totalité des cas, le personnel syndiqué travaille moins d’heures par semaine. Elle révèle également que, dans la totalité des cas, la rémunération globale horaire du personnel syndiqué est plus élevée que celle du personnel non syndiqué. La syndicalisation du personnel paraît constituer une variable importante pour expliquer les différences observées.

Rémunération globale par heure travaillée, selon la classification nationale des professions (CNP) de formation universitaire, secteur privé, employé(e)s syndiqué(e)s et non syndiqué(e)s, Québec, 2020

  
 CNP   
TITRE D’EMPLOIEMPLOYÉ(E)S SYNDIQUÉ(E)SEMPLOYÉ(E)S NON SYNDIQUÉ(E)S
HEURES NORMALES/SEM.RÉMUNÉRATION GLOBALE
HORAIRE
RÉMUNÉRATION GLOBALERÉMUNÉRATION GLOBALE
HORAIRE
112Professionnel(le)s en gestion des ressources humaines et en services aux entreprises35,965,5137,357,80
217Professionnel(le)s en informatique35,763,6037,761,50
301Personnel en soins infirmiers37,462,5436,255,66
416Recherchistes, expert(e)s -conseils, agent(e)s des politiques et des programmes34,482,1036,8052,57
512Professionnel(le)s de la rédaction, de la traduction et personnel professionnel assimilé des communications35,560,7838,047,93

Source : INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC. (2020). Résultats de l’Enquête sur la rémunération globale du Québec : collecte 2020. Gouvernement du Québec, p. 63 et 70.

Partage des richesses

Outre les bienfaits du syndicalisme mentionnés plus haut, son apport demeure plus fondamental au sein des sociétés. Il existe une corrélation entre le taux de présence syndicale et un meilleur partage des richesses, comme quoi le degré de répartition de la richesse augmente avec le taux de présence syndicale. Le graphique suivant, issu des travaux de l’IRIS, le confirme.

Source : OCDE, citée dans HURTEAU, P. (2014). Les syndicats nuisent-ils au Québec? Comment répondre à 10 questions sur les syndicats et l’économie. IRIS, p. 19

Le graphique présente un croisement entre le taux de syndicalisation et le coefficient de Gini, lequel :

« est une mesure statistique qui indique le niveau de distribution des revenus dans une population donnée. Ce coefficient est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l’égalité parfaite et 1 signifie l’inégalité totale. Il est très utilisé pour mesurer l’inégalité des revenus dans un pays. »

Le graphique révèle que, dans l’ensemble, la baisse du taux de couverture syndicale s’accompagne d’une hausse du coefficient de Gini, donc des inégalités.

Concernant la répartition des richesses, Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS, ajoute :

« Une forte présence syndicale participe à la mise en place d’un cadre institutionnel et réglementaire favo­rable à un meilleur partage des richesses. Cela s’explique principalement en raison de la capacité qu’ont les syndi­cats à négocier de meilleures conditions de travail pour l’ensemble des salariés, de réduire les écarts de revenus internes aux entreprises et de faire la promotion de politiques sociales redistributives. En fait, l’étude des rapports de recherche sur le sujet publiés des années 1950 à aujourd’hui révèle que, contrairement à l’idéolo­gie néolibérale voulant que les syndicats accroissent les inégalités en favorisant certains types de travailleurs et travailleuses au détriment de leurs collègues, la présence syndicale est généralement associée au rétrécissement des écarts entre les différentes catégories de revenus . »

Au Québec, comme ailleurs dans le monde, au cours des 20 dernières années, il semble que le syndicalisme ait de plus en plus mauvaise presse auprès de la population en général. Or, les bienfaits du syndicalisme sont nombreux et diversifiés, car les syndicats proposent des changements visant à assurer un développement économique socialement responsable.


1. LABROSSE, A. (2020). La présence syndicale au Québec et au Canada en 2019. Gouvernement du Québec.

2. CAMPBELL, B. et YALNIZYAN, A. (2011, 2 novembre). Pourquoi nous avons besoin des syndicats [Billet]. IRIS.

3. LISÉE, J.-F. (2012). Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments. Éditions internationales Alain Stanké

4. Pour être sélectionnés, les emplois doivent exister dans le secteur privé syndiqué et dans celui non syndiqué.

5. HURTEAU, P. (2014). Les syndicats nuisent-ils au Québec? Comment répondre à 10 questions sur les syndicats et l’économie. IRIS, p. 21.