Non à la déprofessionnalisation du patrimoine

Québec, le 15 octobre 2020 – Les signaux d’alarme pointant la protection du patrimoine québécois n’ont pas manqué au cours des dernières années. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer les carences en effectif pour assurer la conservation du patrimoine bâti sur l’ensemble du Québec et le défaut d’une vision d’État pour protéger le patrimoine immobilier.

Début septembre, Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications, a fait l’annonce d’un montant d’environ 22 millions $ supplémentaires destiné au Programme de soutien au milieu municipal en patrimoine immobilier visant la sauvegarde des maisons et des immeubles patrimoniaux du Québec. Cette somme permettra l’embauche d’agents de développement en patrimoine immobilier pour guider les municipalités dans leurs projets.

L’ajout de professionnels spécialisés en patrimoine pour mieux encadrer les pouvoirs locaux constitue une bonne nouvelle. Les professionnels du patrimoine au ministère de la Culture et des Communications (MCC) auront ainsi des interlocuteurs privilégiés en région pour améliorer les connaissances et permettre aux responsables locaux de s’outiller pour intervenir efficacement en matière de patrimoine.

Toutefois, cette amélioration ne peut faire oublier qu’en juin 2020, le rapport de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc exposait les lacunes du MCC pour respecter son engagement d’inspecter tous les quatre ans chaque bien immobilier classé afin d’acquérir une meilleure connaissance de l’état des biens immobiliers patrimoniaux. Madame Leclerc notait aussi l’absence d’inspection prévue pour connaître l’état des biens situés sur les sites patrimoniaux déclarés, de même que l’absence de coordination et de suivi des inspections.

Depuis des décennies, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) observe que le MCC détient de moins en moins de ressources pour étudier les demandes de classement, de désignation et d’autorisations de travaux et faire les recommandations nécessaires, pour élaborer et mettre en œuvre les plans de conservation, pour coordonner l’acquisition de connaissances et la réalisation d’inventaires, pour gérer et rendre accessibles les données sur le patrimoine.

Inexorablement, après des années d’austérité ayant accentué les départs et le non-remplacement d’experts, cette situation a provoqué la déprofessionnalisation du MCC en matière de sauvegarde du patrimoine matériel. Les professionnelles et professionnels de l’État au service du patrimoine sont en nombre clairement insuffisant pour permettre au MCC d’épouser une réelle vision d’exemplarité de l’État en matière de sauvegarde et de valorisation du patrimoine immobilier.

Dans son rapport de 2020 intitulé Notre patrimoine, un présent du passé, Roland Arpin, fondateur du Musée de la civilisation et ancien sous-ministre à la culture, notait : « tandis que les requêtes du milieu s’accroissaient, que l’éventail des objets patrimoniaux ne cessait de s’élargir, que le développement industriel et urbain intensifiait la pression sur le patrimoine archéologique et bâti et que de nouvelles problématiques émergeaient, le Ministère était de moins en moins équipé pour suffire à la tâche. » Parions que la situation n’a pas beaucoup changé depuis 20 ans.

Alors que le gouvernement appelle de ses vœux la relance économique, qu’attend-il pour regarnir ses effectifs et développer son expertise en patrimoine? Qu’attend-il pour fédérer l’ensemble des ministères et organismes responsables de bâtiments patrimoniaux autour d’une vision commune ? Qu’attend-il pour amorcer de grands chantiers visant le classement, la protection, la restauration et la mise en valeur de notre riche patrimoine immobilier ? Assurément, ce patrimoine ne mérite pas de devenir un présent empoisonné du passé.

 

Line Lamarre
Présidente